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Rencontre avec la Présidente

Micheline Calmy-Rey

A travers votre département, vous défendez une politique de paix. Pendant de nombreuses années, notre pays a été une plate-forme incontournable de discussion pour des pays en conflit; avons-nous perdu ce rôle ou les paramètres ont-ils changé?
Au sein de la communauté internationale, la Suisse continue à jouer un rôle important à cet égard. Nous sommes un acteur sans arrière-pensées, dont la contribution est appréciée. La Suisse base son action sur le droit, elle dialogue avec tous les pays, avec toutes les parties sans partis pris. Elle n'est membre d'aucune alliance. Cela nous permet d'occuper un rôle de bâtisseur de ponts.

-- C'est ainsi que nous avons été sollicités en 2005 (en notre qualité de dépositaire des Conventions de Genève) afin de faciliter l'admission du Magen David Adom (MDA) et du Croissant- Rouge Palestinien (PCRS) dans le Mouvement des sociétés de la Croix- Rouge et du Croissant Rouge.

-- Dans le dossier nucléaire iranien, la Suisse mène depuis plus d'une année un dialogue avec l'ensemble des parties impliquées, à savoir le groupe dit « P5+1 » d'une part et l'Iran d'autre part.

-- La Suisse est impliquée dans l'ensemble des processus de paix en cours en Colombie.

-- Un accord de paix a été signé le 21 novembre 2006, mettant un terme à la guerre civile au Népal. La contribution de la Suisse a été substantielle, et notre capacité à faire intervenir de manière coordonnée différents instruments relevant de la coopération au développement, de la promotion des droits humains et la médiation a été remarquée.

Le XXIème siècle semble être placé sous le régime de la globalisation. Pour beaucoup, la Suisse ressemble à «ce petit village d'irréductibles Gaulois qui résiste encore à l'autorité»: quels sont les prochains enjeux pour notre pays? Et quels sont les défis à ne pas louper?
Dans une société de plus en plus globalisée, les problèmes le sont aussi. Ils nous poussent à trouver des solutions internationales. La mondialisation conditionne nos repères identitaires et nos décisions. Nous voyons que des conflits qui apparemment éclatent très loin de chez nous, ont, en fait, des prolongements directs en Suisse. Les dangers d'aujourd'hui - la pauvreté, les guerres civiles, les épidémies, le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive – sont autant de causes possibles de détresse et de violence et n'ont que faire des frontières. Pour défendre nos intérêts, nous participons à la recherche de solutions collectives. Pour la Suisse, les solutions se situent dans une large mesure au niveau européen. La coopération avec l'UE est dans l'intérêt vital de la Suisse. La voie dite de coopération bilatérale avec l'UE est privilégiée par le Conseil fédéral.

Michèle Bachelet à la tête du Chili, Angela Merkel en Allemagne, Micheline Calmy-Rey en Suisse: cette évolution politique est encore trop souvent perçue comme une révolution. La sous-représentation féminine en politique est à l'image de l'économie de tous les pays «riches»: peu de femmes occupent des fonctions importantes. Paradoxalement, la proportion féminine dans les Hautes Ecoles est supérieure à 50% sur de nombreux campus. Y a-t-il des solutions pour arriver à cette parité?
Ce n'est pas le fait du hasard, s'il y a si peu de femmes qui occupent des positions élevées dans la politique,dans l'économie et dans les conseils d'administration ou qui sont titulaires de chaires universitaires. Cela n'a rien à voir avec le niveau d'intelligence des femmes – il suffit de regarder le nombre de filles dans les Hautes Ecoles, comme vous le relevez à juste titre.

Une des causes déterminantes de cette anomalie, c'est la surcharge des contraintes à laquelle doit faire face la femme qui veut fonder une famille. C'est particulièrement vrai en Suisse, où nous manquons de structures d'accueil pour les enfants. L'absence d'horaire continu dans les écoles est un autre problème qui ne fait que compliquer l'organisation de la vie professionnelle.

Je pense qu'il y a aussi un manque d'assurance chez les femmes, qui n'ont pas l'habitude d'utiliser le pouvoir à leurs propres fins. Si vous prenez, par exemple, les femmes nées entre 1960 et 1964, savez-vous qu'il n'y a en Suisse que 38% de ces femmes qui ont un diplôme universitaire et des enfants ? Les autres se consacrent entièrement à leur carrière. Et pourtant, où sont-elles aujourd'hui ces femmes, bien formées et sans enfant ? Ne croyez pas qu'elles occupent toutes des postes de direction! Dans notre société, nous utilisons encore les vieux stéréotypes lorsqu'il s'agit de la détermination des profils de compétence. Quand il y a un poste élevé à occuper, nous songeons encore bien souvent en premier lieu à une candidature masculine. Cette assimilation est vraisemblablement même inconsciente. Ce sont là des obstacles bien réels, plus ou moins masqués d'ailleurs.

Pour ma part, il s'agit d'une vraie volonté politique visant à pallier cette anomalie en fixant des objectifs en termes quantitatifs, mais aussi en allant à la recherche des candidatures féminines et en les convainquant que leur candidature est attendue. Nous devons continuer à agir ensemble pour changer les choses.

Votre mandat de Présidente de la Confédération et votre fonction au DFAE vous conduisent à de nombreux déplacements à l'étranger. Comment voyezvous la situation des jeunes (= étudiants) suisses par rapport au reste du monde? La mobilité n'est pas encore une pratique très courante - quels seraient vos arguments pour découvrir d'autres pays, d'autres cultures?
Nous vivons une ère nouvelle, nous l'avons dit, la globalisation. Elle change nos identités et nos façons d'appréhender la réalité. Nous ne pouvons plus ignorer ce qui vient d'ailleurs. Tout nous concerne et nous touche de près. Notre pays a besoin d'hommes et de femmes hautement qualifiés, compétents et motivés. Des hommes et des femmes qui s'intéressent à ce qui se passe à l'étranger, qui s'ouvrent aux autres cultures et s'enrichissent d'un bagage essentiel pour leurs carrières futures dans quelque domaine que ce soit.

Je ne peux qu'encourager les jeunes à profiter des programmes de formation et d'échanges que nous avons aussi avec l'UE, que ce soient des stages, des semestres à l'étranger ou d'autres projets dans les domaines du sport ou de la culture.

A travers le Département Fédéral des Affaires Etrangères que vous dirigez, de nombreux projets liés au développement, à la formation et au recrutement sont mis sur pied. Pouvez-vous nous en dire plus?
J'accorde en effet une grande importance au développement et à la formation continue au sein de mon département. Le développement professionnel pour le personnel transférable (diplomatique, consulaire et services spécialisés) repose sur des profils de compétences définis pour les fonctions à l'étranger et à la centrale. Le personnel suit donc des cours de formation et se soumet à des assessments afin de permettre une bonne allocation des ressources.

Au-delà de ce système des carrières, le DFAE offre une gamme variée de formation continue pour le personnel en Suisse et, de plus en plus, pour le personnel local dans les représentations à l'étranger. Nous avons développé toute une série de nouveaux instruments en matière de conduite et de gestion, y inclus le management de crises ou la sensibilisation aux différences culturelles.

Pour les services de carrière, nous avons également introduit une grande nouveauté au niveau du recrutement. Le DFAE offre depuis la fin de cette année un recrutement ciblé HES pour son service consulaire. Il s'adresse aux personnes qui désirent occuper des fonctions à responsabilité dans la gestion des ambassades et consulats à l'étranger. Celles- ci doivent être titulaires d'un diplôme HES d'économie et d'administration et posséder au moins deux années d'expérience professionnelle.

Nous vivons une année électorale relativement intense. Cependant la politique ne soulève pas un gros enthousiasme auprès des jeunes. Selon vous, que faudrait-il pour leur en donner le goût et pour motiver quelques vocations?
J'encourage les jeunes à participer, à voter, à dire leur opinion. Je les encourage à s'exprimer, à s'ouvrir au monde et à prendre conscience de leurs droits civiques et politiques. La création et participation à des réseaux est très importante.

En conclusion, quel message souhaitez-vous transmettre aux étudiants qui viennent de reprendre le chemin des différents capusm?
Je voudrais leur dire trois choses : « ayez des objectifs ; poursuivez-les avec constance et surtout avec beaucoup de confiance en vous.»...