Paul Oberson: On sera connecté à un ordinateur sans même s'en rendre compte

L'expert des technologies de la formation à l'interview

Conseiller pour les technologies de la formation à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et directeur adjoint au Service Ecole Média (SEM) du département de l'instruction publique du canton de genève (DIP), Paul oberson évoque les enjeux de la technologisation du champ de l'éducation et dépoussière quelques idées figées.

Paul Oberson, le rapport intime entre la technologie et l'apprentissage constitue le fil rouge de votre domaine d'expertise…
La formation, cette capacité à transmettre des savoirs de façon transgénérationnelle, est intimement liée à notre espèce. Et les technologies ont toujours accompagné ce processus. Le livre, qui a permis de stocker des connaissances en-dehors de substrats biologiques, est l'un des exemples les plus anciens. de la même façon que l'écrit a marqué une rupture avec la tradition orale, l'audio, la vidéo et toutes les nouvelles technologies qui émergent aujourd'hui - avec leur composante multimédia - ont un impact sur les relations éducatives.

Les enseignants sont aujourd'hui confrontés à la génération des «natifs numériques». Est-il urgent de les sensibiliser à l'usage des technologies?
L'arrivée de nouveaux outils technologiques dans un cadre de formation implique qu'on forme les enseignants. d'un point de vue technique, mais aussi au niveau pédagogique. Cependant, l'avantage des «natifs» sur les «migrants» numériques n'est pas si évident. La migration est à concevoir comme une richesse. Un migrant, c'est quelqu'un qui a deux cultures, même si l'intégration dans la nouvelle peut présenter quelques écueils. Les enseignants forment une cohorte très hétérogène. Certains sont adeptes du web 2.0, d'autres privilégient le livre et le tableau noir. toutes ces méthodes s'avèrent au final efficaces et complémentaires.

Quelles sont les technologies les plus susceptibles d'émerger dans les auditoires?
De plus en plus, on sera connecté à un ordinateur sans même s'en rendre compte. Il intègrera des interfaces existantes, comme par exemple une table. C'est déjà le cas avec les voitures qui dissimulent de véritables ordinateurs. En marge, les smartphones et les écrans tactiles multitouch vont poursuivre leur développement. d'autres types d'interfaces pourraient également proliférer. C'est le cas du papier digital qui permet de connecter des documents imprimés au monde numérique. On peut ainsi enrichir une feuille d'épreuve ou un support de cours avec des contenus multimédia présents en ligne.

On parle beaucoup de la techno-dépendance... Faut-il vraiment militer pour le tout-technologique?
La question de l'addiction est principalement liée à la catégorie des «gamers». C'est un phénomène particulier. Pour le reste, la problématique ne diffère guère de ce qui s'est passé avec l'avènement de la radio ou de la tV. Ces médias ont un côté fascinant, mais peut-on pour autant parler d'un problème de santé publique? Au contraire, dans certains cas d'autisme ou d'isolement extrême, le fait de passer par une interface, avec un avatar, facilite parfois la communication avec l'autre. Ces premiers pas virtuels peuvent se traduire par une amélioration dans la vraie vie. de même, l'idée d'avoir une représentation symbolique de son être, comme par exemple dans les sites de rencontre, aurait fait évoluer la façon de se rencontrer. De quelque chose d'instinctif, lié au physique et au paraverbal, on est passé à une dimension plus intellectuelle. on discute, on échange et le physique vient après.

Des études montrent pourtant à quel point les étudiants avouent avoir besoin d'être connectés en permanence… Cela renvoie à une problématique plus large qui est celle du réseau. Prenons le réseau d'eau: si on éloigne les gens des robinets, peut-être aurontils la même réaction. ils se diront: «C'est fou comme on est devenu dépendant!» Bien en amont du réseau virtuel, quantité d'autres réseaux façonnent notre quotidien avec leur côté facilitateur: l'électricité, les routes, le rail, etc.

Les manuels scolaires vont progressivement disparaître… Peut-on imaginer le même sort pour les établissements, remplacés par un espace d'apprentissage totalement virtuel?
Une nouvelle technologie n'en a jamais tué une autre. En revanche on l'a toujours entendu: la photo va tuer la peinture, le cinéma va tuer la photo, la TV va tuer le cinéma, etc. Et puis on constate que toutes survivent, même si leurs usages évoluent. A l'avenir, des considérations d'ordre économique ou environnemental vont certes favoriser les formes de délocalisation. de plus en plus de gens travailleront chez eux. de même, on peut aujourd'hui déjà apprendre à distance. La formation demeure toutefois un objet complexe qui mobilise de nombreuses ressources. Elle nécessite des interactions non seulement avec les enseignants, mais aussi avec les autres élèves. L'école est dotée d'une importante composante sociale. Elle participe aussi de l'organisation de la société en prenant en charge les enfants de parents qui travaillent de plus en plus…

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