Colocation, mon amour

plongée éclectique dans l'habitat étudiant, en compagnie de marc allgöwer

Cherche colocataire, femme, non fumeuse, sympa mais tranquille... Trouver un logement à partager quand on débarque dans une ville inconnue, c'est décourageant. Surtout si on ne possède pas les qualités requises. Bon, tout le monde est sympa, ça ne souffre aucune discussion. Imaginez l'annonce: «cherche colocataire sachant rester insupportable quand il le faut. Assumant ses poils sur le torse, une sale habitude côté clopes et une tendance à pousser la chaîne stéréo». On détourne les yeux et on passe son chemin. Être «aux études», comme on dit, passe pour beaucoup par l'abandon du nid familial. Certains se décident pour un studio, d'autres pour un foyer. Et une troisième catégorie habite en colocation. Question de budget, bien sûr, mais aussi de confort et d'atmosphère. «Je n'avais pas du tout envie de vivre seule au début de mes études», confie Aurélie. Elle a investi dans un charmant deux pièces sous les toits de Lausanne avec Eliane, une amie d'enfance. La plupart de leurs amis ont fait de même. «C'est comme une bulle entre la vie de famille et le grand saut dans l'inconnu», estiment-elles. Une bulle dont il existe d'infinies variations. De deux à plus de cent, comme au Clos-Voltaire. Cet ancien hôtel situé près de la gare de Genève appartient à la Ciguë, une coopérative de logement gérée par des étudiants. L'endroit ressemble à un moulin. On y entre et on en sort à toute heure du jour et de la nuit. Dernièrement, un Italien au français roucoulant y expliquait que «malgré le bruit, vivre ici dépasse tout. C'est un défi autant qu'un plaisir.» C'est en tout cas ce qu'on a discerné de ses propos pendant un concert improvisé dans le salon. Mais comme en toute chose, il y a un juste milieu. Le saut est un peu dur, non ? Une étude statistiquement non significative indique que la plupart des colocations se composent de deux à trois personnes, pour un loyer moyen de 500 francs par tête de pipe. Ceci posé, on peut s'attaquer à ce qui fait la différence. Autrement dit, les gens.

Une vie de chien
Premier round: connait-on déjà ceux avec qui on partage nos murs ? Contrairement à l'opinion commune, ce qui se présente comme un bon plan peut ruiner des amitiés, comme ce fut le cas pour Matthieu. Cet étudiant fribourgeois se décrit comme «plein de bonnes intentions» lorsqu'il a proposé à une amie d'enfance de venir dans son appart. Il a vite déchanté. Factures, tâches ménagères, ils n'étaient pas sur la même longueur d'ondes. Un déménagement plus tard, Matthieu se réjouit d'organiser des bouffes à la maison. «Il faut avouer qu'après trois mois ensemble, nous nous parlions à peine en nous croisant sur le pas de la porte. Même les amis que j'invitais lui posaient problème», se souvient-il. D'ailleurs, les tentations de petits meurtres entre amis ne datent pas d'hier: à l'époque des pattes d'éléphant et des cheveux longs, deux couples investissent une ferme. Malheureusement, le chien de ses amis énerve profondément Jean. Alors que l'orage gronde, un éclair frappe la bâtisse, ressort par la friteuse dans laquelle le cabot voulait plonger le museau. L'animal s'électrocute, lâche un vent sous forme de boule de feu, et Jean pique un fou rire qui lui vaudra pour longtemps les regards réprobateurs des propriétaires de la bête. A l'inverse, avoir des inconnus pour futurs colocataires met la barre moins haut. Bien sûr, l'étape de sélection n'a rien d'une partie de plaisir. Ayant mis une croix sur les petites annonces de l'uni, il reste la bouche à- oreille. On choisit donc de se présenter devant une commission de cinq visages avenants. Ce qu'on a fait jusqu'alors, pourquoi on veut vivre avec eux, est-ce qu'on fume, on le raconte du mieux qu'on peut. Et bien malin celui qui n'aurait pas l'impression de rejouer une scène d'un film de Cédric Klapisch. Une fois le candidat accepté, la découverte se fait par touches impressionnistes. Quoi de plus sublime et triomphant que le réveil après la première nuit en un lieu fraîchement investi ? On ouvre les yeux, un peu désorienté. Qu'est-ce qu'on fout ici ? Oh, on habite là maintenant. A la cuisine, les nouvelles têtes intriguent. L'odeur du café met à l'aise, on discute entre deux bribes de rêves mal éteints. Les coupes de cheveux matinales révèlent les faces d'ordinaire savamment cachées. Et, mystère entre tous, chaque appartement ou presque compte un hyperactif. Dès le saut du lit et frais comme une rose, il arpente le couloir en direction de la salle de bain en sifflotant. Un petit bond à la Fred Astaire n'étonnerait personne. Pas besoin de partager le contenu de la «décidément trop petite» cafetière avec celui-là. Il a sa dose de conscience pour la journée. On finit sa tasse, ferme la porte à clé et pense que sympathiser avec l'éveillé de service prendra du temps.

En bernois dans le texte
Quittons un instant notre apprenti colocataire, et approfondissons notre étude. Première précision: toutes les cohabitations entre amis d'enfance ne sont pas vouées à l'échec. Mario et Fabian, deux Nicolas Bouvier bernois, tant ils allient esprit d'aventure avec fidélité, occupent un trois pièces à Genève. Elevés au grain à Burgdorf, ils ont découvert ensemble la cité de Calvin. Haut plafond, table de récup en bois massif, tuyaux bariolés, la pièce a juste ce qu'il faut de décrépi pour être chaleureuse. L'opération gratin dauphinois s'y déroule en dialecte. Si l'un d'eux lance qu'ils organisent «un petit truc» pour le samedi suivant, vous pouvez être certains qu'une cinquantaine d'énergumènes peupleront l'endroit jusqu'aux petites heures. En trois années de vie en commun, Mario le géographe et Fabian le politologue ont vu passer plusieurs personnes dans la troisième chambre de leur appartement. Le dernier en date est un Suisse-Allemand du nom de Fabian. Problème logistique de base, comment différencier les homonymes? Car si Fabian n'a pas nettoyé les toilettes comme convenu, faut-il en faire le reproche à Fabian ou Fabian ? Les deux étant musiciens, le bon sens d'outre-Sarine a transformé l'un en Fabasse, l'autre en Fabatte. La corrélation entre langue maternelle et logement étant établie, passons à la variable suivante: le champ d'études. Elles sont trois commères, Martine, Daniela et Joëlle, toutes fraîchement licenciées en Lettres de l'Université de Neuchâtel. Quatre ans de dur labeur qu'elles ont vécu côte à côte. «C'était le coup de foudre. Dès le second semestre, on a décidé de vivre ensemble », se rappelle Daniela. Un logis confortable, comme en témoignent les photos, qu'il a fallu se résoudre à quitter une fois décroché le précieux diplôme. Aucune des filles n'a voulu construire sa vie professionnelle sur les bords du lac. «Mais, s'empresse d'ajouter Joëlle, on se rend souvent visite entre Zurich et Lausanne.» Le lien qu'elles ont bâti, s'il reposait sur une affinité de départ, a crû grâce à leur passion partagée pour la littérature. Des livres qu'on se prête, des discussions interminables dans le salon, des polémiques savantes, elle représentait le point d'attraction d'une colocation entre copines d'études.

Vingt ans d'ancienneté
Récapitulons: de deux à cent personnes, des gens qu'on connaissait déjà (pour le meilleur ou pour le pire), de parfaits inconnus, des compagnons d'uni. A qui la palme de l'originalité dans cet univers polymorphe qu'est la colocation? A Robert. Vous ne le connaissez pas ? Vous avez tort. Cet étudiant en Lettres - encore un - a passé deux ans à penduler entre Genève et son domicile hors du canton. Jusqu'à ce jour béni, heureux, plein de soleil et où il faisait au moins vingt degrés. Son téléphone a sonné. A l'autre bout du fil, c'était Paolo, une connaissance d'année sabbatique, quand on occupe de petits boulots à droite, à gauche. Paolo, avec ses deux décennies de coloc au compteur, et qui habitait depuis quelques mois déjà avec Louis. Et voici Robert qui loge avec eux dans un quatre pièces garni des meubles de feue l'ancienne propriétaire. «Dont le Bolchevik», rigole-t-il en pointant du doigt un énorme garde-manger trônant dans le vestibule. De son côté, Paolo paraît tellement habitué à ce mode de vie que c'en est presque reposant de le regarder faire mijoter des petits plats «façon grand-mère». Retour à notre néophyte et son buste méditerranéen: trois ans se sont écoulés, il a acquis le statut d'ancien au sein de son appart. Il a pris l'habitude de sourire poliment quand on lui dit pour la énième fois qu'il vit dans une auberge espagnole «comme dans le film, tu sais ?». Oui, merci, il le sait. Bien des choses ont changé, certains sont partis, des petits bleus ont fait leur entrée. L'assiduité aux tâches ménagères fluctue au rythme des sessions d'examen, le téléphone n'a toujours pas été coupé malgré un petit retard dans les factures et quelques copains/copines viennent s'ajouter aux locataires légitimes. «Cherche colocataire, ouvert(e) aux quatre vents de l'imprévisible, fumeur(se) mais respectueux(se) de ceux qui ne le sont pas.» Voilà l'annonce digne qu'on décroche son téléphone. Sympa, on l'est déjà tous, non?