René Berger

rencontre avec rené berger, un homme de 90 ans qui joue encore aux indiens sur internet...

Difficile de résumer le travail de René Berger et plus de 60 ans dévoués à la recherche en quelques lignes... Il faut bien avouer que le nombre de publications, de conférences et autres activités à l'actif de ce monsieur a de quoi impressionner, même dans une version outrageusement abrégée. Pour un journaliste, la vie de René Berger a ceci de pratique que l'on peut imaginer mille et une formules agréables à l'oeil et à l'oreille pour brosser un portrait de l'homme, mariant l'artiste et le chercheur. Ce genre de choses devrait aider à faire un article élogieux sans avoir à se creuser les méninges, mais voilà, là ce n'est juste pas possible. Alors autant recommencer depuis le début...

Décloisonner le savoir
Né en 1915, René Berger a tout d'abord étudié les Lettres à l'Université de Lausanne et obtenu sa licence en 1941. Dès le départ, il souhaite déborder des lectures académiques de l'époque, afin de pouvoir mettre en lien la culture avec les progrès des moyens de communication. Il publie en 1958 Découverte de la peinture, puis Connaissance de la peinture en 1963. Deux ouvrages qui connaîtront de nombreuses traductions ainsi qu'un large succès autour du globe.

Nommé professeur de Lettres à Lausanne, il tentera de faire accepter dès 1973 un cours intitulé Esthétique et mass media, dont le contenu, trop original pour son époque, ne sera jamais véritablement accepté par la Faculté. On ne marie pas comme cela l'art et la technologie...

Par la suite, René Berger fera le tour du globe, multipliant les interventions dans les réunions scientifiques. Président d'honneur des Congrès de l'Association internationale des critiques d'art (AICA) de 1969 à 1975, il présidera également le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne de 1962 à 1981.

Les travaux qui suivront seront uniquement consacrés aux bouleversements qu'apportent les nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre monde, et notre perception de ce monde: La Télé-fission, Alerte à la Télévision, Jusqu'où ira votre ordinateur? Puis Téléovision et L'origine du futur. Et il ne s'agit que d'une partie infime de ses ouvrages...

Chacun de ses livres part de la même attitude chère à l'auteur: guetter comment les moyens de communication émergents font évoluer notre société. De nombreux et larges extraits de ses ouvrages ainsi que l'accès à tous ses projets actuels sont disponibles sur le site du collège de Vevey*.

Une idée récurrente consiste à refuser le discours «classique» sur le progrès. En effet, dire que l'on ne peut juger la technologie que sur la façon dont l'on s'en sert est pour lui une sottise. «On ne peut pas raisonner comme cela. Parce que ce qui est véritablement important avec le progrès, c'est le changement de société qui l'accompagne!»

terrains de jeux

«Enfant, j'adorais jouer aux Indiens, et poser l'oreille sur les rails pour entendre arriver le train...» aime à se souvenir René Berger. Quelques années plus tard, c'est Internet qui s'est révélé être le terrain de jeux préféré, et ce depuis maintenant plus de 20 ans!

Aujourd'hui, l'activité de René Berger se concentre donc sur deux projets fondamentaux, qui sont tous deux intimement liés au web. Le premier est le musée virtuel de la Fondation Jacques-Edouard Berger (accessible depuis le site du collège de Vevey), immense collection d'images d'oeuvres d'art issues des quatre coins du globe que son fils a laissée derrière lui en disparaissant brutalement il y a quelques années, et intégralement disponible sur la toile. Plus de 300'000 visites par mois sur ce site riche de plus de 100'000 images, et qui a fêté ses dix ans récemment...

Quant à la seconde, qui s'inscrit dans la même démarche que ses ouvrages, c'est l'observatoire-pilote, créé en collaboration avec Francis Lapique en 1996 (accessible aussi depuis le site du collège). «Qu'est-ce qu'un observatoire-pilote ?» me direz-vous...

Pour faire court, il s'agit d'un espace entièrement dédié à la recherche dans les sujets qui ressortent du domaine de l'expérimental: il s'agit de la génétique, du cerveau, des changements climatiques, de la science dans la société, l'évolution, la physique et l'espace. Les innombrables informations qui y sont répertoriées sont issues de recherches automatiques sur le web, mais aussi d'apports directs de la part des internautes sous la forme de notes.

Mais la force du site ne réside pas à proprement parler dans son contenu. Comme son nom l'indique, l'observatoire-pilote cherche à éliminer les barrières existant entre les disciplines, afin de mettre en avant les liens qui les unissent. Cette même idée de transdisciplinarité que René Berger avait tenté d'introduire avec grandpeine il y a plus de 30 ans avec son cours Esthétique et mass media, et qui est aujourd'hui seulement dans les bouches de tous les responsables des hautes écoles...

Journalisme et pessimisme

Mais malgré cette «victoire» flagrante, l'homme refuse de faire des reproches. Il a enseigné, certes, mais il ne donnera jamais de leçons. Sauf peut-être aux journalistes, comme j'ai eu le plaisir de le remarquer assez rapidement...

«Les journalistes sont bien souvent pessimistes vis-à-vis des technologies de la communication. Et selon moi, ce pessimisme vient de la méconnaissance. Wkipédia (l'encyclopédie libre d'internet) en est le parfait exemple. On dit que ce site est dangereux, car plein d'erreurs. Mais savent-ils vraiment ce qu'est wikipédia? Non, je ne le crois pas. On ne fait pas attention aux origines, à l'idée de base de tels sites. Et c'est regrettable, car tout le discours est stéréotypé...»

Et c'est en conférence que l'homme manie si bien cette langue de piques et de pointes. Mais il reste bien difficile de ne pas tomber sous le charme du personnage, qui sait si parfaitement séduire son public (pour s'en assurer, il vous suffit de télécharger sa conférence intitulée l'émergence du futur), captivant l'auditoire durant plus d'une heure par un discours vif, acerbe et fascinant, et capable de rebondir sur les sujets les plus divers.

Si ces quelques lignes vous ont donné envie d'en savoir plus sur l'oeuvre de ce monsieur, il ne vous reste plus qu'à taper «rené berger» sur google, et laisser dériver la souris qui vous sert de tête.

C'est un voyage qui en vaut définitivement la peine...

un cv qui force le respect


Voici un petit florilège des titres (diplômes et ouvrages) qui parcourent la biographie de René Berger: Docteur ès Lettres de l'Université de Paris (Sorbonne), Professeur honoraire de l'Université de Lausanne et de l'Ecole des Beaux-Arts; membre de la Commission des cours de l'Université populaire de Lausanne. Directeur-conservateur du Musée des Beaux-Arts (1962-1981).

Fondateur du mouvement culturel «Pour l'art» et du «Salon international de Galeries-Pilotes ».Concepteur-réalisateur des colloques du «VideoFestival international de Locarno». Président d'honneur de l'Association internationale des critiques d'art (AICA) et de l'Association internationale pour la vidéo dans les arts et la culture (AIVAC), expert consultant auprès de l'Unesco et du Conseil de l'Europe.

Principales publications: Découverte de la peinture - Connaissance de la peinture - Art et communication - La mutation des signes - La téléfission, alerte à la télévision - L'effet des changements technologiques - Art et Technologie - Jusqu'où ira votre ordinateur ? - L'imaginaire programmé ! - Téléovision, le nouveau
Golem.

«(...)Tout en restant enfermés, comme nos lointains ancêtres, dans un corps mortel, nous ne cessons de nous extérioriser tous azimuts, grâce aux machines à rouler, à voler, à plonger, à travers l'espace et le temps, à travers traditions et innovations, à travers le réel et le virtuel. Tout en restant amarrés à notre cerveau dans son modeste abri crânien, nous ne cessons de nous brancher à l'immensité des flux qu'innervent des réseaux toujours plus vastes, toujours plus puissants. Une nouvelle étape de l'Évolution est en cours. Miroir, mémoire, histoire ont eu partie liée durant des siècles. Mais voici que la technogenèse, en fusionnant le symbolique et le technologique, déborde le modèle d'antan. S'annonce le technourgique, dont Internet est peut-être le nouveau sésame.(...)»