Berlin à vélo

marc frochaux est parti en erasmus à berlin, la ville über-tendance, pour une année. Ce jeune et fringant étudiant en Lettres nous conte ses aventures.

Le cycliste urbain est très certainement le nouveau héros de notre ère: aventurier écolo, toujours en forme, il brave les éléments (neige, voitures, affiches sloggi) et risque sa vie à chaque virage. Mais à Berlin, le cycliste a laissé son casque dans l'armoire et découvre enfin le vélo sans stress. La bicyclette en Allemagne a pris l'ampleur d'un phénomène culturel généralisé: tout le monde roule a vélo, professeurs, ouvriers, écoliers. On voit des familles entières sur la route, avec un bébé dans la remorque, et je suis le témoin journalier d'une scène charmante et pittoresque: une jolie fille tout en beauté, avec son écharpe blanche et ses bottes à talons, se rend dans sa discothèque préférée en pédalant dignement sur son «Holland» reluisant.

C'est que le vélo n'a rien de ringard à Berlin, il est même devenu pour certains un accessoire de mode. Deux tendances rivalisent: les «tout-équipés», avec guêtres, pédales mécaniques et maillot fluo; pour eux, il existe un magasin exclusivement consacré à la mode du cycliste hyper-rapide. Dans le quartier très bourgeois-bohème de Prenzlauer Berg, c'est à l'inverse celui qui se balade avec le vélo le plus pourri qui est généralement le plus à la mode. Le jeune artiste a pu dégoter sans peine sa monture vintage au marché aux puces le plus proche pour quelques euros (son sac en bandouillère à la mode en a coûté le triple). Ensuite il lui suffit de posséder un stock suffisant de pièces volées pour en assurer l'entretien. L'alternatif punk de Kreuzberg, lui, préfèrera généralement un vieux mountain-bike aux roues tordues, échappant ainsi à toutes les autres tendances. Quant aux «Öko», les Verts allemands, ils ne vont pas autrement au marché bio : avec un vélo peint en vert, orné d'un tournesol autour du phare avant, et d'un joli panier en osier.

Rouler librement et rapidement dans une ville de 3,7 mio. d'habitants n'est pas possible sans rigueur. Tout a été aménagé en fonction des cyclistes: des feux spéciaux, des pistes cyclables, mais aussi les râteliers à vélos que l'on trouve devant les magasins, les banques ou les clubs. Il est très enthousiasmant de se trouver soudain dans une ville où le cycliste est respecté à ce point par les automobilistes. En revanche, rien ne l'autorise pour autant à devenir un danger public. En hiver, des patrouilles policières circulent à vélo dans les rues de Berlin et contrôlent l'état des véhicules qui passent devant eux. Si les freins, les lumières, ou même la sonnette, ne sont pas en ordre, un procès-verbal est dressé sur le champ, et l'utilisateur a une semaine pour montrer son véhicule au poste le plus proche. Mon coloc Uli s'est fait attraper ainsi samedi passé: il rentrait à vélo au milieu de la route, en pleine nuit. Après un dépistage sanguin prouvant que son taux d'alcoolémie dépassait 1.5 ‰, le malheureux s'est vu recevoir la même punition qu'à n'importe quel automobiliste: retrait de permis et amende de 600 euros... Pauvre Uli!

Je réfléchis encore aux leçons que nous devons tirer de tout cela. Aplatir Lausanne? Interdire les gros véhicules à Genève? Pédale, c'est tout, tu verras, ça rend plus beau!