A Lyon, une cohabitation inédite entre étudiants et convalescents

C’est une expérience de cohabitation unique en France. D’ici à quelques jours, 21 patients rejoindront les 45 étudiants déjà installés dans l’immeuble flambant neuf situé près de la gare de Perrache, dans le 2e arrondissement de Lyon. Dans cette résidence construite par Habitat et humanisme, les étudiants bénéficient d’un appartement de type T4 (4 pièces) en colocation, à des tarifs très modérés (30 % à 40 % moins chers que les prix moyens du marché), en échange de deux heures par semaine consacrées à un patient en convalescence.

La résidence de neuf étages a été baptisée Emmanuel-Mounier, du nom du philosophe grenoblois (1905-1950), chantre du personnalisme. A la différence d’autres cohabitations créées par Habitat et humanisme – qui loue 1 500 logements dans l’agglomération lyonnaise – et qui concernent des personnes âgées ou en difficultés sociales, cette formule s’adresse à des personnes sortant de l’hôpital ou suivant un long traitement et ne peuvent pas regagner leur domicile, parce qu’elles vivent seules ou qu’elles manquent de moyens. Elles seront logées dans des studios T1 aménagés, situés aux mêmes étages que ceux des étudiants. 80 autres jeunes, logés dans les T1 de l’immeuble, donneront leurs deux heures hebdomadaires à d’autres associations liées à Habitat et humanisme.

Les étudiants concernés par cette expérimentation, qui ont emménagé au 13 bis de la rue Delandine début septembre, ne sont pas impressionnés. « Il y a l’avantage du prix, d’être ensemble et d’aider quelqu’un dans la difficulté. On a un peu trop l’habitude de nous occuper que de nous-mêmes à la faculté », témoigne Olivier-Jean Rapp, 22 ans, originaire d’Alsace, à Lyon depuis deux ans pour suivre des études de biologie. « C’est une expérience pour nous, un contact humain », ajoute sobrement Vincent Parizot, 20 ans, venu de Provence. Les deux colocataires ont fait leur calcul. L’an dernier, ils payaient 380 euros chacun pour une chambre de 10 m2. Là, 750 euros à trois, meubles, kitchenette et wifi compris.

« Nous ne sommes pas dans la contrainte »

D’autres affichent un enthousiasme plus marqué, comme Aymeric Denis, 18 ans, qui a déjà contacté ses amis scouts pour proposer des activités sur place. « Pour l’instant, c’est encore un peu flou, mais je n’ai aucune inquiétude : un loyer pas cher pour aider des personnes, c’est un bon compromis », souligne Amélie Viel, 18 ans. Parfois, les parents sont plus emballés que leurs enfants. « Ces gens vont avoir besoin de compagnie, c’est une idée magnifique d’inciter des étudiants à s’ouvrir aux autres en rendant service à ceux qui en ont besoin », dit Nathalie Martel, venue d’Ardèche avec sa fille Julie, 19 ans, pour faire l’état des lieux.

L’intervention des étudiants sera soigneusement encadrée par une équipe de bénévoles, constitués d’anciens professionnels de la santé. « Nous ne les lâchons pas dans la nature. Nous ne sommes pas dans la contrainte non plus : si un étudiant a besoin de temps à un moment donné, on le retire », explique Jean-Pierre Moissinac, 61 ans, responsable du projet. Selon cet ancien directeur d’hôpital, le profil des patients sera étudié pour s’adapter à la cohabitation avec les étudiants. Une commission d’admission se réunira une fois par semaine. Tous les soins seront pris en charge de manière classique, par des intervenants extérieurs. Les étudiants seront là pour une présence, une activité, des courses ou de l’écoute. Les patients ne devront pas rester plus d’un an dans la résidence. Ce qui supposera une préparation à leur sortie.

« Agir différemment »

Selon les concepteurs de l’expérience, le lien entre étudiants et patients permet de répondre à de profonds enjeux sociétaux contemporains. La durée de séjour à l’hôpital ne cesse de se réduire pour des raisons budgétaires, et le vieillissement de la population engendre la solitude. « On va vers une médecine à deux vitesses, l’évolution de la société fait se cumuler les problèmes médicaux et sociaux », remarque M. Moissinac, pour lequel il s’agit d’« un prototype qui a vocation à se développer partout en France ».

« Cette forme d’habitat, c’est une passerelle entre le soin et la solidarité », résume Bernard Devers, 68 ans, fondateur d’Habitat et humanisme. Cet agent immobilier devenu prêtre a eu l’idée de cette résidence après la création d’une maison pour malades en difficulté, alors qu’il était aumônier au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard. Pour lui, « les défis de la société nous imposent de l’imagination, les jeunes nous accompagnent dans cette démarche. L’avenir c’est apprendre à voir, c’est agir différemment. »

Symbole supplémentaire, la résidence Mounier est implantée dans le vaste espace des anciennes prisons de Lyon. L’architecture de type phalanstère a été préservée sur ce site en voie d’achèvement, ouvert au public grâce à des passages et des jardins. Il abrite l’Université catholique de Lyon, des bureaux et des logements. « Passer de l’enfermement à l’ouverture, on voulait marquer cette empreinte », dit Bernard Devers.

(sources : Le Monde)

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