Découverte du talon d'Achille du cancer de l'os

L'équipe du Prof. Ivan Stamenkovic de l'Institut de pathologie de l'UNIL-CHUV a découvert un mécanisme capital dans l'émergence des cellules souches cancéreuses du sarcome d'Ewing, la deuxième tumeur maligne de l'os chez l'enfant et l'adolescent. Les résultats de son étude, qui pourraient avoir d'importantes répercussions sur le traitement de nombreux types de cancers, sont publiés dans l'édition du 12 juin 2012 de la revue scientifique Cancer Cell.

Identifié dans les années 1920, le sarcome d'Ewing est réputé pour son agressivité. Cette forme particulière et rare de cancer des os - moins de cinquante cas sont répertoriés chaque année en Suisse - touche en premier lieu les sujets âgés entre cinq et trente ans, avec un pic d'incidence à la puberté. Malgré différentes approches thérapeutiques, le pronostic du sarcome d'Ewing reste sombre, débouchant souvent sur une amputation, voire pouvant être fatal.

Les cellules souches cancéreuses, force motrice des tumeurs

 

Dans le cas du cancer de l'os, comme dans d'autres types de cancers solides tels celui du sein ou de la prostate, la tumeur est très hétérogène sur le plan cellulaire, étant composée de cellules qui se différencient, prolifèrent, deviennent dormantes ou meurent. Dans la plupart des masses tumorales, aussi volumineuses soient-elles, seule une petite proportion de cellules constitue en général la force motrice du processus. Ces cellules ont été baptisées «cellules souches cancéreuses» (CSC) car elles conservent certaines propriétés des cellules souches normales, notamment la capacité d'auto-renouvellement et de différentiation en une population cellulaire hétérogène qui compose la masse tumorale.

Si ces cellules souches cancéreuses ne représentent que 1-10% de la population cellulaire tumorale totale dans la plupart des tumeurs solides, elles revêtent une importance majeure puisqu'elles sont résistantes aux traitements conventionnels. De par leur prolifération lente, ces cellules sont en effet épargnées par la chimiothérapie conventionnelle qui vise avant tout les cellules à division rapide et sont ainsi responsables en grande partie des récidives tumorales et de la formation de métastases. Il est par conséquent impératif de comprendre leurs propriétés afin de trouver des thérapies ciblées efficaces.

Le contexte cellulaire joue un rôle déterminant

 

Expert reconnu au niveau international, le Prof. Ivan Stamenkovic s'intéresse au sarcome d'Ewing depuis plus de dix ans. En 2005, son équipe a réalisé une première découverte majeure en démontrant qu'un gène de fusion associé à cette pathologie, le EWS-FLI1, est capable à lui seul d'induire le sarcome d'Ewing chez la souris. Plus récemment, elle a découvert que les cellules initiatrices de la croissance du sarcome d'Ewing ont bien des propriétés de CSC, en d'autres termes qu'elles ont la capacité de s'auto-renouveler et de générer des cellules plus différenciées qui vont constituer le gros de la tumeur. Une étude publiée en 2010 a en outre mis en évidence les mécanismes responsables de l'émergence de ces CSC et le rôle déterminant du contexte cellulaire, différent chez un enfant en croissance par rapport à un adulte dont le corps est achevé. Cette découverte explique notamment pourquoi le sarcome d'Ewing touche avant tout les jeunes de moins de trente ans.

Un défaut réversible

 

Dans sa nouvelle étude publiée dans Cancer Cell, le groupe du Prof. Stamenkovic a franchi une étape supplémentaire en s'intéressant plus spécifiquement aux microRNA (miRNA) - des molécules d'acide ribonucléique non-codantes qui se lient à des séquences complémentaires d'un gène et en répriment l'expression. «Nous avons trouvé qu'un défaut réversible de maturation des miRNA est responsable de la constitution des CSC. Etant donné que chaque miRNA a de nombreux gènes cibles, un nombre limité de miRNA contrôle l'expression de réseaux entiers de gènes», détaille le scientifique lausannois.
Les miRNA sont notamment responsables du contrôle de l'expression de gènes impliqués dans la maintenance des cellules souches, d'oncogènes (catégorie de gènes dont l'expression favorise la survenue de cancers) et de gènes suppresseurs de tumeurs; ils jouent par conséquent un rôle très important dans le développement des cancers. «Or, il se trouve que la plupart des cancers ont une répression d'un large éventail de miRNA qui favorise l'expression de gènes impliqués dans la constitution de l'état indifférencié et des oncogènes», poursuit le professeur.

Dérèglement épigénétique de l'expression

 

Dans le détail, les chercheurs de l'UNIL ont découvert que les CSC ont un profil d'expression des miRNA tout à fait distinct de celui des cellules qui constituent la masse de la tumeur. Ils ont identifié une molécule, la TARBP2, essentielle pour la maturation des miRNA et dont l'expression fait défaut de manière réversible dans les CSC. «En d'autres termes, cela veut dire qu'il y a un dérèglement épigénétique de l'expression de TARBP2 dans les CSC», analyse Ivan Stamenkovic.

Traiter le mal à la racine grâce à un médicament inédit

 

Les scientifiques ont alors cherché diverses manières de renverser ce défaut et ont identifié un médicament capable d'induire la fonction de TARBP2 et de restituer l'expression des miRNA à un niveau similaire à celui présent dans les cellules normales. «Ce traitement a permis de diminuer, voire d'éliminer les CSC dans les tumeurs humaines transplantées chez la souris et d'entrevoir pour la première fois une approche thérapeutique visant l'élimination sélective des CSC. Inutile de dire que ceci pourrait avoir d'importantes répercussions sur le traitement de nombreux types de cancers», conclut le Prof. Stamenkovic.

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