C’était mieux avant?

L’étudiant d’hier et d’aujourd’hui sous le scalpel des profs

Ils en ont vu des disciples du savoir défiler sous leurs yeux. Mais que pensent les professeurs des jeunes en formation d’aujourd’hui et de cette génération Y, dite de « Facebook » et du zapping? Etumag leur a donné la parole.

Laurent Tissot, livres, bibliothèque, lunettes

Laurent Tissot, Professeur ordinaire en histoire contemporaine à l’Université de Neuchâtel

Quelles sont les principales différences entre l’étudiant d’aujourd’hui et celui d’il y a trente ans?
Difficile à dire. Selon moi, les jeunes en formation actuels sont tout aussi motivés à apprendre et demeurent à l’écoute de leurs professeurs. J’ai toujours un immense plaisir à enseigner. Les étudiants sont par contre plus nombreux dans les auditoires, ce qui pose des problèmes logistiques. Leurs conditions matérielles se sont aussi détériorées alors que le système des bourses d’études ne s’est pas amélioré. En raison de l’augmentation de la population estudiantine, on a, actuellement, plus tendance à «fermer le robinet», ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. Par contre, on a diversifié l’offre de formation et la mobilité universitaire s’est développée, sous l’impulsion de divers programmes d’échanges, comme par exemple Erasmus.

Autrefois rêveuse, politisée, engagée avec une ferme volonté de changer le monde, aujourd’hui, individualiste et désintéressée, la jeunesse a bien perdu de sa superbe. Comment expliquer cette perte de valeur?
C’est un raccourci intellectuel et historique. Par le passé, de loin pas tous les étudiants s’engageaient pour défendre une cause. Et, à cette époque, on parlait déjà de perte de valeurs, la génération de mai 68 rejetant les idéaux traditionnels de la classe bourgeoise.
Actuellement, la jeunesse est tout aussi impliquée dans la vie sociopolitique qu’il y a quelques décennies, seulement son engagement demeure plus protéiforme qu’auparavant.

Avez-vous remarqué des différences au niveau des profils sociaux des jeunes en formation?
Oui, avec l’apparition de la démocratisation des études, au cours des années septante, les profils sociaux se sont modifiés. Le fils ou la fille de l’ouvrier a pu accéder au monde du savoir académique.
Actuellement, je constate une plus grande mixité culturelle. Avant environ 80% des étudiants étaient suisses. Maintenant, je fais face à un auditoire multiculturel avec des jeunes provenant des quatre coins de la planète. Cela entraîne des problèmes de compréhension et pose de nouvelles questions : dois-je mal noter le travail d’un étudiant allophone qui me rend un texte dont la syntaxe est mauvaise mais dont le contenu est excellent? Assurément, non.

Que pensez-vous de la génération actuelle née avec Internet et hyperconnectée ?
La jeunesse ne fait que suivre le développement technique. Il y a trente ans, la dernière découverte en la matière était la télévision. Et on en a dit du mal. Les gens pensaient que les jeunes allaient devenir fainéants.
Une technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi, c’est son utilisation qui la rend utile ou pas. Personnellement, je n’ai rien contre la génération «zapping». Quant à l’accès direct au savoir via Internet, il peut mettre le professeur sous pression car dès qu’il avance une nouvelle connaissance dans son discours, les étudiants peuvent immédiatement aller la vérifier sur la toile. Actuellement, il existe une espèce de boulimie de l’information en continu. Comme pour n’importe quelle technologie, il convient de lui donner un sens afin de ne pas être mangé par elle.

Avez-vous constaté une baisse générale du niveau des étudiants?
Du point de vue des connaissances factuelles, clairement oui. En règle générale, le niveau des étudiants a baissé mais il ne faut pas oublier que les exigences ont aussi augmenté et qu’ils ont acquis d’autres connaissances. Et puis d’autres formes d’apprentissage sont apparues. Aux enseignants de s’adapter aux nouveaux outils de communication. Nous sommes à une époque charnière, où tout est possible, donc loin de moi l’idée de céder au catastrophisme ambiant!


Claudine Sauvain-Dugerdil 

Claudine Sauvain-Dugerdil, Professeur titulaire à l’Institut d'études démographiques et du parcours de vie (I-DEMO) à l’Université de Genève

Quelles sont les principales différences entre l’étudiant d’aujourd’hui et celui d’il y a vingt ans?
Actuellement, beaucoup de jeunes travaillent à côté de leurs études. De ce fait, la formation passe souvent au second plan. Les étudiants souhaitent aussi être plus vite autonomes et ne pas dépendre financièrement de leurs parents. D’où l’augmentation des universitaires ayant une activité rémunérée.

Autrefois rêveuse, politisée, engagée avec une ferme volonté de changer le monde, aujourd’hui, individualiste et désintéressée, la jeunesse a bien perdu de sa superbe. Comment expliquer cette perte de valeur?
Je ne suis pas d’accord avec vous. Aujourd’hui, les jeunes sont aussi engagés que par le passé. Leur lutte est, cependant, moins idéologique. Elle demeure plus pragmatique. Et le fossé entre étudiants qui participent à la vie de la cité et ceux qui n’y prennent pas part est plus prégnant. A l’époque où j’étudiais, nous nous engagions tous sans exception. Nous faisions aussi preuve de plus d’idéalisme. Mais nous étions en période de boom économique avec la certitude de trouver un emploi  une fois diplômés. Nous n’avons pas connu la crise financière actuelle. La conjoncture économique était meilleure.

Avez-vous remarqué des différences au niveau des profils sociaux des jeunes en formation?
Oui, une plus grande diversité au niveau de l’origine des étudiants. Certains sont allophones.

Que pensez-vous de la génération actuelle née avec Internet et hyperconnectée?
Les jeunes d’aujourd’hui ont souvent l’impression de tout savoir car l’accès à l’information est facilité grâce aux nouvelles technologies, ce qui les rend un peu plus arrogants. De manière générale, les étudiants prennent moins le temps d’approfondir la matière. Ils sont souvent moins rigoureux. La génération actuelle peine aussi à distinguer les jugements de valeurs - les commentaires personnels qu’elle produit en masse sur les réseaux sociaux - de l’argumentation scientifique, base de tout travail universitaire. Mais finalement, les jeunes en formation sont le produit de la société actuelle un peu «touche-à-tout». A l’université de s’adapter. Concrètement, nous leur fournissons des outils pour apprendre et rechercher l’information pertinente.

Avez-vous constaté une baisse générale du niveau des étudiants ces vingt dernières années?
Difficile à dire. Le noyau dur de mes étudiants a un excellent niveau. Mais il y a toujours un petit groupe de moins bons.


Laura Mellini

Laura Mellini, chargée de cours à l’Université de Fribourg en Sciences des sociétés, des cultures et des religions.

Quelles sont les principales différences entre l’étudiant d’aujourd’hui et celui d’il y a une dizaine d’années?
Les jeunes sont plus connectés. Dans les auditoires, la plupart ont leur propre ordinateur ou tablette tactile. Auparavant, l’outil technologique servait essentiellement à prendre des notes. Actuellement, son usage s’est étendu: prise de notes, chats sur les réseaux sociaux et recherche d’informations sur le web.

Comment jugez-vous cette évolution?
A la fois positivement et négativement. Au niveau des aspects bénéfiques, citons une meilleure information des jeunes. Les universitaires sont mieux renseignés sur ce qui se passe dans le monde mais aussi à plus petite échelle. Ils sont au courant des événements qui ont lieu sur leur campus. Ils ont aussi une meilleure connaissance des règlements d’études et sont mieux informés de leurs droits, ce qui est bien. De plus, les relations professeurs élèves sont moins hiérarchisées. Les étudiants osent plus aborder leurs enseignants. Avant, il fallait venir taper à la porte du professeur à ses heures de réception pour entrer en relation avec lui. Maintenant, un simple click suffit puisque l’étudiant peut prendre contact avec son professeur via Internet. Cet aspect est, cependant, à double tranchant. Un mail est si vite envoyé. On peut souvent transmettre un courriel sans trop réfléchir et le regretter ensuite. 

Voyez-vous d’autres inconvénients liés à cette hyperconnexion?
Je dirais l’aspect «chronophage» des réseaux sociaux. Par conséquent, les jeunes ont moins de temps à consacrer à d’autres activités sportives ou culturelles. De plus, les échanges en face à face diminuent, tout comme la qualité du lien social en présentiel.
Je constate aussi une baisse de la concentration des étudiants qui s’effectue au détriment de l’apprentissage. Pour parer à un tel problème, il convient de proposer une offre de cours intéressante alliée à une pédagogie attrayante et participative.

Autrefois rêveur, politisé, engagé avec une ferme volonté de changer le monde, aujourd’hui, individualiste et désintéressé, l’étudiant a bien perdu de sa superbe. Êtes-vous d’accord avec ces propos?
Je ne pense pas que les jeunes soient moins engagés. La forme de leur engagement a cependant évolué. Actuellement, tout le monde peut exprimer ses convictions et défendre une cause, en postant un message sur Internet. Seulement, cela se réalise dans l’intimité du foyer et non plus à travers de grandes manifestations publiques. Mais n’oublions pas que si l’expression de l’engagement revêt un caractère plus individuel, ce dernier s’inscrit toujours dans une logique collective.

Avez-vous remarqué des différences au niveau des profils sociaux des jeunes en formation?
Difficile de répondre à cette question sans chiffres à l’appui. Autre écueil: l’uniformisation actuelle fait qu’il demeure très dur de déterminer l’origine sociale des étudiants. Aujourd’hui, le fils d’artisan portera le même jeans de marque que le fils d’avocat ou de médecin. Les marques de distinction sociale n’ont plus court.
D’un point de vue culturel, l’Université de Fribourg a toujours compté en son sein différentes nationalités et ethnies. Il est clair que, sous l’effet de la globalisation, ce phénomène s’est accentué et qu’il y a toujours plus de jeunes étrangers. En même temps, beaucoup de Suisses partent étudier ailleurs. En règle générale, la mobilité tant interne qu’externe de la haute école a augmenté. 

En quoi la génération actuelle est-elle différente de la précédente?
En réalité, la jeunesse actuelle diffère peu de la génération précédente. Elle possède les mêmes intérêts mais les exprime de manière différente, via les réseaux sociaux. Tout comme ses aïeux, elle cherche la validation sociale de ses pensées et actes par le biais de la reconnaissance de ses pairs. Ce besoin d’approbation ne se réalise, cependant, plus frontalement, directement en face à face, mais par écrans interposés. Les commentaires laissés par les autres sur sa page web donnent du sens à l’expérience vécue.

Avez-vous constaté une baisse générale du niveau des étudiants ces dix dernières années?
Je n’ai pas observé une baisse au niveau des compétences générales. Les jeunes en formation actuels sont d’ailleurs très motivés à apprendre. Les raisons à cela sont peut-être liées à une concurrence accrue et au processus de Bologne qui a introduit un rythme plus soutenu et des délais plus serrés. Par contre, leur expression orale et écrite s’est détériorée. Pour l’anecdote, j’ai reçu une copie d’examen contenant un émoticône. Le langage sms est passé par-là.