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Bourses d’études

L’initiative qui veut en délier les cordons

Avec l’initiative sur l’harmonisation des bourses d’études, ce sont des serpents de mer du monde universitaire qui remontent à la surface. Entre égalité des chances et démocratisation des études, une étudiante et une politicienne font le bilan et proposent leur vision de la formation. Analyse.

La bourse ou la vie

Si l’Union des étudiant-e-s suisses (UNES), boîte de résonance des intérêts estudiantins créée en 1920, a décidé de passer à l’action, c’est que pour beaucoup d’étudiants, le diable est dans la bourse. En effet, depuis plus de deux décennies, l’État tend à se désengager toujours plus des aides aux études tertiaires que ce soit par la diminution des montants disponibles pour les bourses ou par le remplacement de ces dernières par des prêts. Ceci, alors qu’un peu plus des trois quarts des étudiants exercent une activité rémunérée en parallèle de leurs études. Activité devenue indispensable pour la moitié d’entre eux afin de subvenir à leurs besoins vitaux et avec les conséquences de rallonger la durée de la formation ainsi que d’augmenter le risque d’échec académique.

Fâcheux, puisque 20% des abandons sont ainsi imputables à des raisons financières. Une morne situation qui ne s’est guère améliorée avec la réforme de Bologne et les études à plein temps qu’elle a imposées. Résultat, les étudiants peinent d’autant plus à concilier cursus académiques et activités lucratives vitales. Un état de fait synonyme d’une reproduction des élites aux yeux de la conseillère nationale Ada Marra qui constate dans le profil des diplômés des Hautes écoles, une inversion de la réalité sociale.  «C’est simple, 70% des étudiants sont issus du 30% de la population à profession libérale».

Mais alors que ces évolutions appelleraient à une augmentation des bourses d’études, la Suisse fait figure de mauvais élève européen, ne consacrant que 0.04 % de son PIB au profit du soutien aux études, alors que la moyenne européenne est quatre fois et demie supérieure. Une place de dernier de classe encore renforcée par la part des boursiers suisses qui peine à dépasser les 15 %. Un taux sensiblement inférieur à la moyenne de 30% atteinte par le reste du Vieux Continent. Ce retrait des pouvoirs publics ne surprend cependant pas Anja Schuler, membre du comité directeur de l’UNES. «Il est toujours plus facile de couper dans le financement des étudiants, eux qui ne représentent pas un lobby politique fort et organisé». Un constat que soutient Ada Marra pour qui «la Suisse fait preuve d’un manque de vision dans le domaine de la formation, aussi du fait qu’aucun département de l’éducation n’ait encore vu le jour». Une exception fortement décriée au moment où le domaine de la connaissance quitte le département de l’intérieur pour passer sous la houlette du département de l’économie.

Bourse plus ou moins molle

Mais la voix du corps des étudiants porte à nouveau avec l’initiative pour l’harmonisation des bourses d’études. Texte dont la récolte des signatures a abouti et qui attend dorénavant de passer devant le peuple. Ce dernier vise à une plus grande égalité des chances. Un principe mis à mal par le fédéralisme suisse et ses 26 différents systèmes en matière d’allocations. Une source d’inégalités présentes tant au niveau du profil des ayants droit que de la durée, du montant ou du type de l’aide reçue. Ainsi, le montant moyen d’une bourse zurichoise se monte à 4’500 CHF quand celui d’une bourse neuchâteloise plafonne à 2’000 CHF. Une disparité d’autant plus criante lorsqu’un étudiant en mobilité touche, à finance égale, une allocation deux fois moins importante qu’un de ses camarades de classe. Cette loterie dans l’accès à la formation n’est plus acceptable selon Anja Schuler qui fait remarquer que «le critère du domicile cantonal est plus prépondérant que les réels besoins des étudiants en terme d’aides aux études».

Si l’initiative veut donner la compétence à la Confédération, elle exige surtout à ce qu’une réelle analyse des besoins des étudiants soit entreprise afin de pouvoir déterminer le bon montant à attribuer en fonction du coût de la vie. Pour Ada Marra, qui fut partie prenante dans le projet en tant qu’ancienne secrétaire de l’UNES, «l’harmonisation s’impose, mais c’est avant tout une augmentation du nombre de boursiers qui est nécessaire, ceci en mettant plus d’argent dans le système des bourses».

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La bourse à la hausse

Les coûts potentiels d’une telle réforme restent encore inconnus mais là n’est pas le problème pour les initiants. Ces derniers soutiennent que même en période de crise, la rentabilité sociale et économique des investissements allant à la formation dépasse tout autre placement. Notamment parce qu’une main-d’œuvre bien formée reste indispensable à la prospérité de la Suisse et que les universitaires recourent par la suite moins aux aides sociales. Une vision qui peine cependant à s’imposer en période d’austérité. Pourtant, «la formation constitue le trésor de guerre d’une pays, assure la conseillère nationale, mais tant que les politiques n’auront pas compris que former a des effets bénéfiques concrets sur la société, la démocratisation des études ne progressera pas.» Car c’est bien là, le but à long terme de l’action de l’UNES, permettre à tous l’accès gratuit aux études grâce à un système de salaire estudiantin qui admette l’indépendance des étudiants. Les ressources parentales n’étant dès lors plus considérées comme le critère d’attribution des allocations. «Ce n’est qu’ainsi, pense Ada Marra, qu’étudier ne sera plus ressenti comme un privilège réservé aux riches et pour lequel la classe moyenne doit se ruiner, ses enfants se voyant abandonnés par le système actuel des bourses».

Le calcul des aides de même que la contribution demandée aux parents et aux étudiants se profilent donc comme les débats clés qui accompagneront la votation populaire. L’UNES qui chiffre le seuil d’existence minimal d’un étudiant autonome à 2’140 CHF par mois, n’a pas encore établi les critères idéaux d’octroi des bourses d’études. Néanmoins, la faîtière estudiantine considère inadéquat le modèle selon lequel les étudiants devraient contribuer en partie à leur entretien par l’exercice d’une activité lucrative, ceci au risque de mettre en péril la réussite de leurs études. «Les activités parallèles ne doivent cependant pas être découragées» précise Anja Schuler, il s’agit alors de ne pas soustraire de la bourse la totalité du revenu annexe d’un étudiant. L’idée étant qu’aucune déduction ne soit faite sur les 6’000 premiers francs annuels gagnés tandis que, passé ce seuil, 70 centimes de chaque franc supplémentaire seraient déduits de la bourse.

Prêts contre bourses

De même, le choix entre un système de bourses non remboursables et un modèle basé sur des prêts se trouvera au cœur des discussions législatives. La question divise. La gauche prône le premier système tandis que les milieux économiques soutiennent le deuxième, invoquant le modèle en vigueur aux Etats-Unis basé sur la responsabilité individuelle. Quant à l’UNES? «Nous restons ouverts, explique la membre, le texte d’initiative ne parle ni de bourses, ni de prêts car nous ne voulions pas qu’on puisse être mis en échec du fait de ce débat. Mais on se battra pour qu’au mieux, les prêts soient négligés et qu’au pire, nous ayons un système mixte.»

D’après les partisans d’une aide gratuite à la formation, les dangers qui entourent les prêts sont multiples. D’abord, au niveau de la diversité de l’apprentissage et de la recherche, puisque face à la perspective du remboursement, les futurs universitaires sont tentés de s’orienter vers les filières qui garantiront un emploi bien rémunéré une fois la formation achevée. Une restriction dans le libre choix des études que défendent certains libéraux, voyant par là l’opportunité de réguler les filières d’études en fonction des capacités intégratrices du marché de l’emploi. Une position battue en brèche par Ada Marra qui juge utopique la thèse selon laquelle l’université peut être réactive aux besoins d’un marché du travail très instable. Toujours selon elle, «il vaudrait mieux développer la possibilité de passerelles pour les cadres et les manœuvres au travers de formations continues».
La problématique de l’endettement induite par les prêts est d’autant plus présente chez des étudiants issus de milieux financièrement défavorisés pour qui l’endettement représente une grande précarisation lors de l’entrée dans la vie active ou au moment de fonder une famille. Dans ce contexte, nous dit Anja Schuler, «l’obstacle psychologique qu’induit les prêts est trop dangereux car au moment de la prise de décision, la peur de la dette peut détourner des études». Une conviction confirmée par une expérimentation allemande dans les années 80, période qui a vu le remplacement des bourses par des prêts engendrer une baisse des jeunes issus de familles défavorisées dans les Hautes écoles.

À mi-chemin, un nouveau mécanisme cherche pourtant à s’imposer. Celui-ci veut que le principe du remboursement des prêts et sa proportion soit fixé sur la base de la capacité financière du bénéficiaire, au pro rata du revenu et durant une période déterminée après la fin des études. Mais ce système, au même titre que celui des prêts est contesté dans le monde politique, jugé astreignant et peu rentable. Un franc prêté impliquant un coût administratif environ trois fois et demie plus important selon une étude commandée par les directeurs de l’instruction publique. Une chose est sûre, la controverse risque de provoquer encore des émules dans les auditoires et les couloirs du parlement. «C’est là deux idéologies qui s’opposent, conclut Anja Schuler. Pour la plupart des étudiants, la formation est un bien public qui tire sa légitimité d’un système démocratique permettant l’égalité des chances. D’autres affirment que la formation est un bien de luxe, privé et marchandable.» En attendant que le peuple tranche, l’initiative aura au moins eu l’avantage de mettre en lumière la condition de nombre d’étudiants en situation précaire. Un statut d’étudiant encore trop souvent perçu comme privilégié. Forcément.

 


Bourses, une réalité disparate

Il existe actuellement en Suisse une multitude de bourses et de prêts à l’attention des étudiants. Les plus usitées sont les bourses cantonales qui, malgré le lancement en 2009 d’un concordat d’harmonisation entre les cantons, souffrent toujours de grandes disparités au niveau des critères et des modalités de l’aide. La commission fédérale des bourses octroie également des subsides non remboursables en plus des bourses allouées aux étudiants en mobilité. Ces dernières sont gérées par la Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS). En parallèle, des aides financières diverses sont proposées par les villes et les universités elles-mêmes. Enfin, un grand nombre de fondations privées, offrent prêts et bourses, souvent selon des critères d’excellence et indépendamment du lieu de domicile ou d’études.