Le quotidien des urgences

Journée d'une étudiante en médecine

D'un côté, nous imaginons des étudiants en médecine toujours en examens et qui ne s'amusent qu'une fois dans l'année, à l'occasion de La soirée qu'ils organisent : les Saturnales. D'un autre côté, il y a l'image véhiculée par les séries TV. Des médecins tous plus sexy les uns que les autres qui courent dans tous les sens et s'occupent de cas spectaculaires. Pour découvrir ce qu'il en est dans la réalité, rien de tel qu'une journée au coeur de l'action avec Nathalie, étudiante en dernière année de médecine et stagiaire à la salle verte des urgences.

La ligne verte collée au sol des urgences nous mène sur les pas de Nathalie qui arrive à 9h00. Vêtue de sa blouse blanche, elle impose le respect, mais ses collègues sont les seuls à l'attendre. Première surprise : il n'y a ni sang, ni cris, ni patients. Simplement des médecins et infirmiers qui discutent. Pour savoir qui est qui, il faut jeter un coup d'oeil aux badges, car les apparences peuvent être trompeuses. Les jeunes femmes sont médecins et l'homme plus âgé n'est autre que l'infirmier.

Le bras ou la jambe ?
L'arrivée d'un premier patient interrompt l'expédition à la machine à café. Une chute à vélo… mais Nathalie n'a pas été assez rapide et c'est l'autre stagiaire, une étudiante allemande en échange linguistique, qui le prend en charge.

Nathalie attendra quarante minutes avant d'avoir à se battre pour obtenir le dossier du second patient de la journée. Quand les patients se font rares, il faut savoir être rapide. Pendant ce temps, l'étudiante allemande remplit le dossier de la chute à vélo. L'écriture n'est pas encore illisible, serait-ce un manque d'expérience ? Mais qu'est-ce qu'une anamnèse ?

Pas le temps pour les questions. Nathalie a eu le dossier. Torsion ou fracture ? Il faut regarder les radios du patient, faites à la permanence, pour déterminer s'il nécessite une opération. Heureusement qu'il est entré avec des béquilles, car pour un oeil externe ces radios auraient tout aussi bien pu être celles d'un bras.

Les patients sont souvent appelés par le nom de leur blessure. Plus simple, mais pas toujours glorieux. Mme cystite, vous avez dit ? La blessure à la cheville est installée dans le bloc X. Nathalie commence par interroger le patient sur les circonstances de sa lésion. Une fracture est soupçonnée, mais il faudra faire des radios de meilleure qualité pour être fixé. En deuxième partie d'examen, Nathalie palpe la jambe blessée, et là des cris de douleur se font entendre. Elle doit ensuite remplir le dossier et expliquer le cas à un médecin interne pour vérification. Après ça, elle devra biper l'ortho. Là, ça sonne enfin comme dans les films. Sauf que biper signifie juste téléphoner. Il va maintenant falloir attendre le chirurgien orthopédiste qui décidera s'il faut opérer.

L'attente permet d'obtenir quelques renseignements. La première partie de l'examen médical s'appelle « anamnèse » (c'était donc ça !). Il s'agit de l'historique du patient. Quant à la salle verte, c'est là où l'on s'occupe de la petite traumatologie et de la proctologie. La quoi ? La proctologie. C'est le domaine qui concerne les hémorroïdes et autres affections du genre.

La patience est mère de toutes les vertus
10h20. L'heure du café pour faire passer l'attente. Encore. L'attente de quoi ? Des patients et du fameux ortho, attendu par trois personnes déjà.

Vingt minutes plus tard, deux patients sont amenés par des ambulanciers et là, c'est tout de suite plus impressionnant. L'un des deux est un ouvrier qui s'est retrouvé coincé sous sa pelleteuse. Il a l'air mal en point, mais ce ne sera pas un cas pour Nathalie. Elle hérite d'une plaie à la tête amenée peu après. La patiente, accompagnée de son mari, est installée au bloc Z. Après les questions d'usage qui révèlent une chute contre une table, Nathalie procède à un examen neurologique : suivre un doigt des yeux ou toucher son nez avec l'index. Amusant jusqu'à que l'infirmière enlève le bandage et découvre une plaie saignante et profonde, au point de laisser apercevoir l'os du crâne. Le mari se sent mal et doit sortir.

Au vu de la gravité de la plaie, l'interne fait biper le neurochirurgien afin de savoir s'il faut passer un scanner. On s'imagine déjà voir arriver le docteur Mamour (chirurgien au brushing impeccable dans la série Grey's Anatomy)…

11h35. L'orthopédiste si sollicité arrive enfin. Les nouvelles radios de la cheville montrent une fracture bien visible et il va falloir annoncer au patient une possible opération. Plusieurs autres blouses blanches sont arrivées entre-temps et la salle d'attente est désormais pleine. Tout le monde à déjà au moins un cas en cours et plus personne ne se précipite sur les nouveaux arrivants.

A midi, le neurochirurgien est toujours attendu et vingt minutes plus tard, l'impatience se fait sentir. Il faudra à nouveau le biper pour qu'il apparaisse enfin et aille explorer le crâne sous la blessure, à la recherche d'une éventuelle fracture. A son arrivée, petite déception, il n'a finalement en commun avec le docteur Mamour que son métier.

Je pique et je repique
13h05. Nathalie s'équipe d'un masque et de gants pour procéder aux sutures de la plaie à la tête. Elle prépare une seringue et désinfecte la blessure avant d'injecter l'anesthésiant, étape douloureuse. La patiente n'en verra rien, car sa tête est recouverte d'un drap ne laissant apparaître que la plaie. L'étudiante commence les sutures avec du fil violet, aidée par des pinces et des ciseaux. Elle explique chaque étape à la patiente, même si celle-ci ne sent désormais plus rien. Cela donne un va-et-vient de « je pique et je repique », plutôt apaisant malgré la situation. Moins de trente minutes plus tard, elle a terminé. L'ouverture est remplacée par quatre points de suture et la patiente s'en tirera avec une jolie cicatrice.

Après un bref repas, Nathalie aura encore deux cas à gérer. Une dame très bavarde (logorrhéique en langage médical) se plaignant de douleurs au genou à la suite d'une chute, mais dont les radios révèlent de l'arthrose et un ouvrier qui a le bras cassé. Nathalie a raté un cas d'abcès très malodorant.

16h30, il est l'heure du colloque radio, durant lequel seront réexaminées les radios du jour précédent. Puis c'est terminé pour Nathalie, bien que son patient au bras cassé attende toujours la visite de l'orthopédiste.

Finalement, la journée pourrait se résumer à l'attente de l'ortho, star de la salle verte !

A retenir qu'il faut de la patience, mais aussi une capacité à gérer plusieurs tâches en même temps et une grande réactivité pour jongler entre les cas. La réalité du quotidien d'un médecin se situe donc quelque part entre les différentes idées reçues, mais elle est chaque jour différente et reste imprévisible. C'est aussi ce qui fait la beauté du métier.