Joseph Deiss

pour le spécial emploi, le conseiller fédéral a accepté de répondre aux questions d'etudiants.ch

Dans son enquête de 2003 auprès des nouveaux diplômés des universités et des HES, l'Office fédéral de la statistique tirait la sonnette d'alarme: plus de 5% des étudiants diplômés depuis un an étaient sans emploi (le plus haut depuis 10 ans). Qu'a-t-il été entrepris depuis lors, et pour quels résultats?
Il est clair que nous suivons l'évolution de la situation. Je reste convaincu du potentiel de succès qu'offre le système des hautes écoles spécialisées. Sa proximité de la pratique et ses diplômes axés sur l'exercice d'une profession préparent bien à l'entrée dans la vie professionnelle. Il faut préserver ce profil qui est bien accepté dans l'économie.

Face à la problématique du chômage, nous soutenons, par l'intermédiaire du Secrétariat d'Etat à l'économie (seco), les stages professionnels pour les diplômés des hautes écoles. Toutefois, cette aide ne doit pas devenir la règle. Nous ne voulons pas que notre pays connaisse une situation comparable à celle de l'Allemagne, où les stages sont un passage obligé pour les jeunes diplômés s'ils entendent accéder au marché du travail. Le chômage des jeunes est un problème sérieux. Néanmoins, l'évolution récente (1er trimestre 2006) montre que, avec la conjoncture renaissante, ce sont les classes d'âge 15 - 19 et 20 - 24 ans qui profitent le plus de la reprise.

Le milieu professionnel demande plus de mobilité, tout comme les études avec la Réforme de Bologne. Mais cette mobilité a un coût - pour les étudiants comme pour les institutions. La Confédération a-t-elle prévu de fournir une aide à ce niveau?
Aujourd'hui, le soutien matériel n'est plus la priorité qu'il a été durant les dix dernières années, à l'époque où le thème de la mobilité est apparu. Au début des années nonante, un programme fédéral avait été mis sur pied pour encourager financièrement la mobilité des étudiants. Ce programme a enregistré moins de demandes qu'escompté. A l'heure actuelle, la mobilité est une évidence et les efforts doivent se concentrer sur l'élimination des freins à la mobilité. Une mise en oeuvre conséquente de la Réforme de Bologne, une perméabilité accrue et la participation à des coopérations et à des programmes internationaux permettront d'y parvenir.

Que vous inspire le violent soulèvement anti-CPE en France voisine, alors que la situation des jeunes en Suisse n'est guère plus brillante du point de vue de la précarité du premier emploi qui suit les études?
Je ne partage pas votre analyse. La situation est bien meilleure en Suisse, grâce justement à la flexibilité de notre marché du travail. La proportion de diplômés des hautes écoles et le nombre de jeunes chômeurs sont beaucoup plus élevés en France. Ceci dit, nous prenons au sérieux la question du chômage des jeunes. Pour que la situation reste stable en Suisse, notre système de formation doit se développer et évoluer en harmonie avec les réalités sociales et avec les exigences de l'économie.

Le monde académique attend toujours la réaction du monde professionnel face à l'arrivée des nouveaux titres «made in Bologne» (bachelor, master). Quelles seront selon vous les conséquences de la Réforme académique sur l'insertion professionnelle des jeunes?
Sur le fond, le système de Bologne est un système approprié, car il facilite la transition entre la formation et le monde du travail. Les filières bachelor sont particulièrement intéressantes dans les hautes écoles spécialisées, car ce sont celles qui tiennent le mieux compte des qualifications professionnelles demandées. De plus, la compatibilité européenne de ces diplômes offre aux jeunes l'accès à des mondes du travail beaucoup plus vastes.

Avez-vous entamé un dialogue avec les entreprises à ce sujet?
Dans les hautes écoles spécialisées, dont je suis responsable en tant que ministre de l'économie, la condition première de la réussite passe par un dialogue constant avec les milieux économiques: les enseignants, comme les étudiants d'ailleurs, disposent d'une expérience professionnelle et la mise sur pied de nouvelles filières d'études, par exemple, inclut toujours le critère du marché du travail. Le canal de communication existant entre HES et économie est précisément un atout de ce secteur.

Une implication plus importante des milieux professionnels dans les hautes écoles pourrait-elle être un élément de réponse à une dynamisation du marché de l'emploi?
Absolument. Un renforcement de la cohésion entre l'économie et le système de formation est déterminant pour l'avenir de notre pays.

La Confédération a mis en oeuvre une grande campagne d'encouragement à l'apprentissage; des efforts équivalents sont-ils préus pour les hautes écoles?
Comparons le comparable ! Les hautes écoles, et avant tout les HES, n'ont pas besoin de campagne de promotion: le nombre d'étudiants et le nombre d'universitaires augmentent d'année en année. Ceci dit, Confédération et cantons ne restent pas les bras ballants: nous cherchons continuellement à rendre le système plus attrayant et plus performant. A titre d'exemple, depuis la création des hautes écoles spécialisées, la Confédération concrétise des programmes visant à drainer davantage de femmes vers les HES, pour l'étude, la recherche et l'enseignement.

Deux constats pour plusieurs questions... Pendant leurs études, les jeunes sont amenés à trouver des petits boulots ou occupent des places de travail à temps partiel. Par ailleurs, il existe un «marché» parallèle où le travail réalisé n'est pas déclaré; cette situation tend à la précarisation et n'offre aucune sécurité aux étudiants (autant financière que sociale). Serait-il alors possible d'imaginer un scénario dans lequel les entreprises qui emploient des étudiants aient des avantages fiscaux? Et que les montants payés par les particuliers à des étudiants puissent être déduits de leurs impôts, par exemple dans le cadre du soutien scolaire (ces dépenses pouvant être considérées comme de l'investissement en formation).
Les lois fiscales sont en général des instruments inappropriés pour atteindre d'autre objectifs que celui de la perception. S'il s'agit de soutenir financièrement les étudiants, il faut le faire de manière directe (bourses). De plus, les contribuables participent déjà aux frais de formation des étudiants. Il ne serait donc pas approprié de subventionner par ailleurs les places de formation pour les étudiants à travers un rabais fiscal.

Peut-on espérer que la modification de la Constitution soumise au peuple en mai permette à la Confédération d'apporter un soutien plus conséquent aux besoins des étudiants en matière d'insertion professionnelle?
Les nouvelles dispositions constitutionnelles sont favorables à tout le monde. Elles permettent une harmonisation et une modernisation de notre système de formation. Elles apportent plus de qualité au système des hautes écoles: un bon sac à dos scolaire est la condition sine qua non pour l'intégration des jeunes au marché du travail. J'espère aussi qu'avec la scolarisation avancée et le temps d'études plus court prévus par le nouvel article sur la formation, les jeunes puissent entrer plus vite dans la vie active. Ils feront ainsi plus d'expériences au début de leur vie professionnelle, ce qui les rendra plus forts pour bâtir une carrière. Le nouvel article constitutionnel augmentera la mobilité à l'intérieur du pays et la possibilité de passer rapidement entre les différents types de formation. Aujourd'hui, les employeurs attendent de leurs futurs employés qu'ils aient le plus vaste bagage pratique possible.

La très grande majorité des étudiants (surtout universitaires) se retrouvent perdus une fois le diplôme en poche. Ils n'ont aucune idée de ce qu'est un office régional de placement, ni comment ils toucheront leurs indemnités de chômage (et leur montant !!!)... Comment expliquez-vous cela? Ne serait-ce pas aux institutions de venir à la rencontre des étudiants avant qu'ils ne sortent de leurs études?
Je peux difficilement l'imaginer. Avec un tel bagage, j'attends des étudiants au contraire qu'ils sachent se prendre en main et montrent leur sens des responsabilités ! Il est clair que des mesures d'accompagnement sont toujours utiles. Les «Career Centers» nouvellement installés dans plusieurs hautes écoles où se rencontrent jeunes diplômés et employeurs vont dans ce sens.

En tant qu'ancien professeur d'Université, avez-vous remarqué une évolution dans le paysage des hautes écoles? Et en tant qu'observateur privilégié de l'évolution sociale et économique actuelle, quel message avez-vous à transmettre à nos lecteurs?
Les hautes écoles se trouvent dans une phase de profonde mutation. Elles se sont adaptées aux développements de la société: elles sont plus efficaces, plus transparentes et mieux à même de répondre à la mobilité des populations. Le nouvel article constitutionnel va à cet égard encore renforcer cette nécessaire adaptation de la formation aux besoins de la société. Voilà pour le cadre. Aux étudiants, j'ai envie de dire: soyez curieux et persévérants. Ne craignez pas l'adversité ! Elle rend meilleur et plus fort !