Les destins liés de l'homme et d'une bactérie

Aujourd’hui encore, la lèpre touche des centaines de milliers de personnes à travers le monde. Une équipe internationale dirigée par l’EPFL a retracé l’histoire de cette maladie, de l’Egypte antique au monde contemporain. Les enjeux n’en sont pas moins contemporains, puisqu’il s’agit de mettre en place un outil de santé publique.

Depuis des milliers d’années, un hôte indésirable et pernicieux suit l’homme dans toutes ses migrations. Mycobacterium leprae n’a qu’un seul réservoir naturel connu, l’être humain. Grâce à cet hôte involontaire, le bacille responsable de la lèpre a colonisé la Terre entière. Une histoire intimement liée à la nôtre, qu’a reconstituée dans les grandes lignes l’équipe de Stewart Cole, professeur en pathogénèse microbienne à l’EPFL. Généticiens, microbiologistes et même archéologues ont suivi la trace de la bactérie, dans leur laboratoire et jusque sur les routes de la soie ou au cœur des tombeaux égyptiens. Cette étude inédite fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature Genetics.

Les chercheurs ont commencé par investir le passé. Sur des dépouilles exhumées de cimetières médiévaux européens, et sur une momie égyptienne du IVème siècle, ils ont retrouvé des bribes d’ADN de la bactérie. «La lèpre entraîne des déformations osseuses typiques, par exemple des mains figées en forme de griffe, explique Stewart Cole. C’est en nous basant sur ces indices que nous pouvons nous assurer que nous avons bien affaire à des cadavres d’anciens malades.»

Dans le sillage des navires commerciaux

L’Egypte du IVème siècle est géographiquement proche de l’Afrique de l’est, où sévit une souche spécifique du bacille de la lèpre. Mais c’est l’ADN d’une souche européenne que les scientifiques ont trouvé sur la momie, comme sur les dépouilles des anciens cimetières anglais, croates ou hongrois.  A cela, rien d’étonnant. L’Empire des pharaons était culturellement rattaché au vieux continent. La bactérie ne disposant que du corps humain comme hôte, elle suivait naturellement le sillage des navires commerciaux et des migrations.

A l’origine, les scientifiques ont différencié quatre souches de base du bacille de la lèpre: européenne, est-africaine, ouest-africaine et indienne. Leur répartition actuelle répond à l’histoire des mouvements de population. Malgré sa proximité géographique avec les côtes africaines, Madagascar est touché par une souche originaire d’Inde, d’où proviennent aussi la majeure partie de ses habitants. Au Brésil domine nettement la lignée ouest-africaine, conséquence probable du commerce d’esclaves, ainsi que son homlologue européenne, amenée par les colons.

 «Une de nos découvertes les plus intéressantes, c’est qu’en Chine la bactérie est de souche européenne, alors même que l’origine indienne était plus attendue», explique Stewart Cole. Et d’émettre l’idée d’une contamination par la route commerciale de la soie. «Pour l’instant, c’est l’hypothèse qui semble la plus probable.»

Un ADN stable, des traitements efficaces

Sans doute originaire d’Afrique de l’est – Stewart Cole compte mettre à l’épreuve cette hypothèse dans une prochaine étude - le bacille de la lèpre a peu à peu muté en différentes lignées. «Le résultat de nos analyses est surprenant, les différences d’une souche à l’autre sont minimes, s’étonne le chercheur. Il s’agit de l’organisme le plus stable que j’ai jamais observé, alors que la moitié de son génome est morte.» Entre les ADN de deux souches, il n’y a au plus qu’une centaine de variations. Pour les virus du VIH ou de la grippe, sujets à de fréquentes mutations, ces différences se comptent par milliers.

«Dans le cas du VIH, les mutations sont tellement fréquentes qu’on peut presque déterminer si une personne a été infectée à Genève ou à Lausanne, explique Stewart Cole. Dans le cas de la lèpre, nous pouvons tout au plus mettre en place une échelle au niveau continental.» Il ne s’agit pas d’une mauvaise nouvelle, précise le chercheur. En mutant, certains organismes comme le bacille de la tuberculose développe d’inquiétantes résistances aux traitements antibiotiques; celui de la lèpre, plus stable, répond de manière positive au traitement, quelle que soit la souche concernée. «Les cas de résistance sont extrêmement rares.»

La maladie n’est pas éradiquée pour autant. Actuellement, plus de 700'000 personnes sont touchées. Dans certaines régions de l’Inde et du Brésil, notamment, elle est encore un problème de santé publique. La durée du traitement, d’une année au moins, rend son application parfois compliquée. Mycobacterium leprae n’a pas encore dit son dernier mot. Les politiques de santé publiques, grâce aux travaux comme ceux Stewart Cole et son équipe, pourront peut-être mettre le point final à cette histoire.

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