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Main-d’œuvre estudiantine

Des travailleurs au salaire minimum

C’est un fait, les étudiants sont toujours plus nombreux à travailler en parallèle de leurs études, souvent payés au lance-pierre. Une situation à laquelle les syndicats pourraient remédier au travers de leur initiative pour un salaire minimum, la récolte des signatures ayant récemment abouti. Alors, fausse bonne idée ou panacée miracle? Dans l’attente de la votation, Murielle Chenaux, secrétaire syndicale chez Unia et Jean-Hughes Busslinger, directeur de la politique générale au Centre Patronal vaudois, discutent de l’impact potentiel d’une telle initiative sur la vie des étudiants. Anecdotes et débat.

 

Abus et chantage

Lorsqu’elle arrive en Suisse, «Pai Pai» pense avoir gagné l’Eldorado. Une illusion rapidement perdue pour cette jeune étudiante chinoise en mobilité. Faute à «Patrick», gérant d’une auberge et accessoirement logeur de la jeune femme. Si d’après ses dires, Pai Pai lui aurait «proposé de participer comme tout le monde au bon fonctionnement de la maisonnée», la version de l’intéressée diverge quant à elle de manière drastique. Pour pouvoir conserver son logement, elle raconte s’être vue forcée à travailler chaque jour jusqu’à 12 heures d’affilée. Une pratique de l’exploitation qu’on attribuerait plus facilement à son pays d’origine. Horreur qu’elle aura finalement fuie. Ledit esclavagiste ayant été dénoncé, jugé et condamné.
À caractère encore exceptionnel, cette anecdote n’en est pas moins évocatrice de la situation de certains jeunes aux études. Ces derniers, en situation d’insécurité financière et sans grande expérience en matière d’emploi représentent une alléchante opportunité de chantage pour quelques employeurs peu scrupuleux et soucieux de réduire leurs charges. Doux dumping salarial donc qui se destine aux étudiants en recherche de financements urgents et souvent ignorants de la législation dans le domaine professionnel.

 

Salaire minimum

Pour parer au mieux à ces dangers, les solutions diffèrent, prenant même une tournure politique. Ainsi, à gauche: Murielle Chenaux, secrétaire syndicale, voit dans l’instauration d’un salaire minimum le parfait levier pour combattre la sous-enchère salariale impliquant les populations vulnérables, les étudiants inclus. Tandis qu’à droite: Jean-Hughes Busslinger du Centre Patronal vaudois, s’inscrit en faux contre cette proposition qu’il juge mortelle pour les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que dangereuse pour la sauvegarde des petits jobs. Débat.

Il s’agit d’abord pour la syndicaliste de démystifier le statut de privilégiée trop souvent associé à la condition estudiantine. Un aspect important selon elle, «car c’est d’ordinaire une précarité financière ou sociale qui pousse les étudiants à accepter un emploi sous-payé». Précisons qu’il n’existe à priori pas de juste salaire, une rémunération étant fixée selon les prix du marché ou d’après les secteurs d’activité par des conventions collectives de travail (CCT) qui négocient des revenus minimaux. S’il convient sans conteste pour les patrons de respecter les salaires établis par les CCT, souligne Jean-Hughes Busslinger, «le devoir appartient aussi aux étudiants de s’informer sur les paies en vigueur et de savoir refuser un travail lorsque l’employeur offre trop peu».
Cependant, cette responsabilité individuelle trouve ses limites aux yeux de Murielle Chenaux, laquelle constate «qu’une grande partie des petits jobs ne sont pas soumis à des CCT» et donc échappent à un salaire minimum dont l’instauration devient dès lors nécessaire. De plus, relève-t-elle, «une législation généralisée à toutes les activités salariées faciliterait grandement la prise de conscience par les jeunes en formation de leurs droits en matière salariale». Ces derniers, sachant à quoi s’en tenir, gagneraient également en assurance dans la négociation de leur salaire.

Danger maximum

Mais là n’est pas l’avis du Centre Patronal qui y voit surtout le danger d’un nivellement global des salaires vers le bas.  «De même, ajoute Jean-Hughes Busslinger, les employeurs risqueraient de ne plus engager d’étudiants en vue de travaux d’appoints non qualifiés pour lesquels ce salaire horaire serait jugé trop élevé».

Une première crainte considérée pourtant comme injustifiée selon les syndicats qui n’ont observé aucun nivellement des salaires au sein des secteurs d’activités où un revenu minimum a déjà été établi. Quant à la disparition potentielle des emplois de gardiennage ou de surveillance habituellement moins bien rémunérés, la question reste en suspens, impossible pour l’heure à vérifier.
Mais pour les partisans de l’initiative, il s’agit d’abord de lancer un signal fort en faveur des travailleurs dont les étudiants, jusqu’ici défavorisés dans la redistribution des richesses produites par les entreprises. Un coup de gueule partagé par beaucoup, alors qu’un grand nombre de personnes qui travaillent à 100% sont tributaires de l’aide sociale pour vivre décemment. Constat similaire chez les étudiants, lesquels doivent augmenter leur taux d’activité pour pallier les faibles salaires. Un danger pour le succès de leurs études. En tout cas, une certitude demeure, loi ou pas loi, la condition estudiantine ne se profile malheureusement pas comme le leitmotiv des débats.