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Couleurs politiques sur le campus?

Méfie-toi de ton voisin de gauche, il pourrait bien être de droite

Tu es étudiant en lettres, et pour toi, les étudiants en droit sont tous des «fils à papa»? Ou alors, tu es étudiant en sciences économiques, et à tes yeux, les étudiants en lettres sont une bande de hippies ringards et rêveurs? Ces clichés ont la vie dure et semblent bien ancrés dans le milieu des études. Dans beaucoup d’universités, les facultés sont de plus géographiquement éloignées les unes des autres, ce qui contribue à creuser le fossé entre les jeunes. L’Université de Neuchâtel en est un parfait exemple, avec sa faculté des sciences exilées dans les hauteurs de la ville et deux campus bien distincts pour les sciences humaines d’une part, et pour le droit et les sciences économiques d’autre part.

A gauche toute…?

Le milieu universitaire est réputé pour être traditionnellement de gauche. Les «intellectuels», les professeurs, les étudiants,… autant de qualificatifs qui renvoient spontanément, dans l’imaginaire idéologique, à des figures engagées plutôt à gauche. Mai 68, un évènement lié aux jeunes, mais surtout aux étudiants, a renforcé cette image de l’universitaire «de gauche». Pour exprimer à quel point ces schémas sont solides, le sobriquet que les médias ont attribué à Uli Windisch, professeur en sociologie à l’Université de Genève, est éloquent: il est le «sociologue de droite». Pourtant, la prédominance de cette orientation politique semble assez éloignée de ce que l’on pourrait, par opposition au milieu des études, appeler la «vie réelle». La scène politique en Europe est certes pluripartite, mais caractérisée par une droite forte. L’UDC en tant que premier parti de Suisse reflète bien cela à l’échelle de notre pays. Ce clivage est également évident outre-Atlantique. Tant et si bien que certains, à l’instar du journal canadien «Affaires Universitaires», se sont posé la question d’un «manque de diversité intellectuelle», constatant qu’aux Etats-Unis les professeurs d’universités «seraient idéologiquement éloignés de la plupart des nord-américains». (source: site du journal «Affaires Universitaires»)

Des institutions publiques

En Suisse, quel est le statut des universités? Il n’y a ni classement, ni concours d’entrée. Voilà qui tranche avec les grandes institutions américaines, ou même européennes, telles que celles de l’Ivy League ou encore l’Institut des sciences politiques en France, dont l’accès passe pour être extrêmement difficile.

Les universités suisses ne sont cependant pas dépourvues d’une certaine «cote». L’EPL et l’EPFZ figurent même dans les premières écoles polytechniques européennes (source: site de l’EPFL). Alors que dans beaucoup de pays, «universités publiques» riment avec «second choix», le système suisse repose presque exclusivement sur des institutions cantonales. Les universités sont des institutions de droit public, régies par la législation du canton. La liberté académique est garantie par la loi. Elles sont néanmoins placées sous la surveillance du Conseil d’Etat. L’autorité publique - et donc politique - joue un rôle prépondérant dans la nomination des postes clés de l’université: rectorat, professeurs et Conseil de l’Université se voient tous nommés totalement ou en partie par le Conseil d’Etat. Celui-ci n’est toutefois jamais composé d’une seule couleur politique, ce qui garantit des nominations basées sur de réelles compétences. Et non pas sur l’appartenance au «bon parti», comme cela peut être parfois le cas pour les postes dépendants d’un seul département.

Enseignant, entité neutre?

Quelles sont les règles concernant la neutralité politique de l’enseignant? Dans le canton de Neuchâtel, c’est la Loi sur l’organisation scolaire (LOS, source: Recueil Systématique Neuchâtelois) qui stipule que l’enseignant «observe la neutralité de l’enseignement aux points de vue politique et religieux en s’abstenant de toute attitude partisane». Cette loi ne s’applique cependant qu’à l’école obligatoire.

Au niveau des écoles du degré secondaire supérieur, la règle est déjà bien moins explicite: selon le Règlement général des lycées cantonaux (source: RSN), l’enseignement «doit être donné aussi objectivement que possible et dans le respect des institutions et de la personnalité de l’élève».

Suivant cette logique, le Règlement concernant les chargés de cours de l’Université de Neuchâtel (source: RSN) est encore plus bref. Il précise uniquement que «le chargé de cours assure de manière indépendante un enseignement spécialisé…» Il n’existerait donc pas de règle ou de principe strict sur la neutralité politique dans l’enseignement universitaire.

Le fait que le principe de neutralité politique s’assouplisse au fur et à mesure que l’on avance dans le processus scolaire est-il un hasard? Probablement pas. En effet, on est en droit de se demander si un enseignement universitaire strictement apolitique est possible, et s’il est seulement souhaitable… Le choix qu’un étudiant fait en s’inscrivant dans telle ou telle faculté n’est-il pas, déjà, le signe d’une certaine orientation?

Leurs avis

Comment les étudiants perçoivent-ils l’enseignement dans leur faculté? Etudiant en médecine, Thomas, 20 ans, pense que «l’enseignement en médecine se veut quasiapolitique». Il avoue que si parfois «quelques opinions filtrent, ce n’est pas suffisant pour parler de faculté politisée… On nous apprend à laisser les considérations d’ordre politique et moral de côté pour faire notre métier le mieux possible». S’il devait situer les étudiants en médecine sur l’échiquier politique, il serait impossible pour lui de généraliser: «Il y a absolument de tout».

Alexandre, 20 ans, étudiant en lettres, est du même avis: «C’est impossible de situer un ensemble d’étudiants politiquement… Notre faculté compte des membres de tous les horizons et l’enseignement principal que l’on nous donne est la réflexion, plus précisément l’acte de prendre de la distance par rapport à toutes les théories pour mieux les remettre en question». Quant à l’enseignement dans sa faculté, il estime qu’il n’est pas forcément politisé: «Je ne pense pas que l’enseignement dans ma faculté soit politisé. S’il y a un sujet dominant c’est peutêtre celui de l’humain. On ne fait pas de politique mais on cherche à comprendre le fonctionnement de l’Homme».

Vanessa, 19 ans, est étudiante en droit et affirme plus volontiers: «Les étudiants en droit sont connus pour être plutôt à droite, et dans la majorité, je dirais que c’est le cas, malgré une part certaine d’étudiants de gauche». Concernant l’enseignement, à nouveau, rien de flagrant, car elle estime que «parfois, une certaine orientation transparaît de la part du professeur lorsque l’on parle de certains faits ou personnages politiques, mais rien de plus… ça peut être une orientation plutôt de droite, ou même de gauche, cela dépend vraiment de la personne qui enseigne!» Il n y aurait donc pas de règle générale.

Autre son de cloche pour Believe, 20 ans, étudiant en sciences économique. Pour lui, l’enseignement suit clairement une ligne politique, et pas forcément celle à laquelle on pourrait penser de prime abord: «Les enseignants ont une certaine fibre sociale. On sent qu’ils veulent nous montrer que les sciences économiques, ce n’est pas que du profit personnel, c’est l’idée de faire en sorte que l’économie soit la meilleure possible pour un maximum de personne […] je pense que les sciences économiques ont beaucoup été péjorées, et on essaye aujourd’hui de montrer un côté différent». Lorsqu’on lui demande comment il situerait les étudiants de sa faculté, il répond que «les étudiants viennent d’horizons très différents. La majorité d’entre eux n’ont pas encore de vraie conscience politique, ou d’engagements flagrants».

Röstigraben universitaire?

Généraliser est toujours délicat, et les réponses des étudiants interrogés le montrent bien. Il est très dur de dégager une tendance politique affirmée pour une faculté précise, d’autant plus que cela peut-être variable d’une université à l’autre. Cela dépendrait avant tout de la personne chargée d’enseignement, ainsi que de la distance que chaque professeur choisit de mettre entre ses opinions personnelles et la matière qu’il enseigne. Néanmoins, la prédominance des idées de gauche dans le milieu universitaire est encore d’actualité. Même si, à l’instar de ce qui se produit dans le paysage politique suisse depuis un certain temps déjà, les idées de droite s’assument et se décomplexent peu à peu.