Diplôme ou podium?

si les études ressemblent à un chemin semé d'embûches pour la majorité des étudiants, pour les sportifs d'élite c'est un vrai parcours du combattant

 

Tu ne le sais peut-être pas, mais la fille assise à ta table au cours du mardi matin est vice-championne d'Europe junior du 4x100 mètres. Malgré le fait qu'elle ait ses examens dans deux mois (comme toi), elle se prépare aux qualifications pour les Jeux Olympiques; mais il lui faudra pour cela passer de 16 à 18 heures d'entraînement hebdomadaire, en plus des cours et des révisions. Ce n'est pas grave, il faudra juste qu'elle laisse tomber ses deux heures de piscine du jeudi après midi…

Cet exemple, certes quelque peu caricatural, exprime la situation dans laquelle se trouvent les étudiants qui ont le «malheur» d'avoir obtenu un certain succès dans leur sport, et qui se retrouvent bien souvent livrés à eux-mêmes pour planifier leur carrière sportive et professionnelle. On est très loin du modèle à l'américaine, où les jeunes sportifs intègrent des universités qui s'arrachent les quelques «élus» en leur proposant des bourses importantes et une infrastructure impressionnante.

«impossible à gérer seul»
Loin des projecteurs des compétitions nationales ou internationales, les espoirs du sport suisse sont loin d'être considérés comme des personnes méritant un traitement de faveur. Bien au contraire selon Georges-André Carrel, entraîneur du LUC et chef des sports de l'Université et de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne: «Il est vraiment regrettable que certaines écoles ne puissent pas se rendre compte de leur chance lorsqu'elles accueillent un jeune sportif, et n'aient pas la volonté de lui permettre de s'épanouir, regrette-t-il. Car il ne faut pas se cacher la vérité, il est impossible pour un jeune de tout gérer de front. De plus, la multitude de cas rend la situation extrêmement difficile.»

Il est vrai que les différences d'un cas à l'autre varient énormément, selon le sport pratiqué, les résultats obtenus, la volonté du sportif et le cursus suivi en parallèle. Mais quel que soit le contexte, les heures d'entraînement sont plus ou moins équivalentes: entre deux et quatre heures quotidiennes. Le tout revient donc, avec les compétitions, à plus d'une quinzaine d'heures de sport minimum par semaine…

Mais rares sont ceux qui se plaignent de leur traitement. Même si tout le monde est d'accord pour dire que le sport suisse manque de moyens, tout le monde s'estime chanceux ! Ce paradoxe s'explique principalement par le fait que chaque sportif s'entoure d'abord de son entraîneur, avec lequel il passera de nombreuses années. Cette «bulle» vaut tous les encadrements du monde, et permet au sportif de gérer ses priorités et ses horaires dès le début de sa carrière. Quant aux frais, ils sont bien souvent à la charge des parents, les clubs payant la plupart du temps les frais de transport. Seul une étudiante parmi ceux que nous avons contactés a demandé un prêt.

 

Encadrement minimal
«On croit toujours que les sportifs sont plus encadrés, mais ce n'est pas le cas! affirme pour sa part Céline Baillod, jeune nageuse et étudiante de 4ème année à la HES de physiothérapeute. En tout cas, en ce qui me concerne, je n'ai pas vu cet encadrement. L'école ne me fait pas de cadeaux.»

De plus, les mesures qu'elle pourrait mettre en oeuvre grâce aux infrastructures nationales dédiées aux jeunes sportifs ne sont pas faites pour l'encourager. «Des heures de téléphone et des kilos de paperasse pour un ou deux jours de congé, cela n'en vaut pas la peine. Je préfère me débrouiller seule.» Cette débrouillardise, ils sont nombreux à la revendiquer. Mais comment se fait-il que les Fédérations n'aident pas davantage leurs poulains ?

«A vrai dire, il existe maintenant des infrastructures qui accueillent des jeunes sportifs, nous explique Céline, mais malheureusement elles sont dévolues à des jeunes en âge de scolarité ou du gymnase. Une fois de plus, on est entre deux systèmes !» Et les contraintes ne s'arrêtent pas là. «C'est une question de désir de la part des Fédérations, ajoute Georges-André Carrel. Nous, (n.d.l.r. l'Université de Lausanne) nous ne nous occupons pas de l'entraînement des athlètes, mais nous mettons à leur disposition l'infrastructure. Ce qu'il faut, c'est mettre en place une gestion de tous les paramètres qui font la complexité de la situation de chacun.»

Si l'on ne considère que l'aspect financier, l'investissement annuel pour payer les cotisations et les frais d'études représente déjà une somme importante, qui peut varier selon les sports pratiqués. Mais il ne faut pas croire que les étudiants/jeunes sportifs sont généreusement sponsorisés, et vivent confortablement. Au contraire, les étudiants sportifs touchent très rarement un surplus financier. C'est surtout au niveau du matériel que cela se passe, par des rabais ou des dons de matériel.

Dans ce contexte-là, la tentation de partir à l'étranger, le plus souvent avec une bourse, est grande. Cette tendance à la «migration des muscles» ne fait pas particulièrement peur à Georges-André Carrel, qui apporte une explication simple à cette différence entre la Suisse et les USA: «Dans les milieux américains, la grande différence est que l'équipe ou le club de haut niveau dans lequel l'étudiant fait de la compétition est le club de l'université, ce qui n'est pas le cas en Suisse, sauf quelques exceptions tel que le LUC. Mais le danger est de se retrouver dans une situation où les étudiants n'étudient plus. Personnellement, je penche davantage pour la façon de faire suisse, même si les sportifs d'élite sont encore traités comme des marginaux.»

Pour en finir avec les scandales
Ces dernières années, la perception du sport a changé, avec une image qui s'est peu à peu dégradée à la suite des multiples scandales de drogues et de corruption. Du coup, on note une nouvelle tendance chez les milliers d'étudiants qui font du sport pendant leurs loisirs. En effet, on se tourne de plus en plus vers un sport exempt de tout règlement et de toute fédération.

«Les valeurs ont effectivement quelque peu changé, confirme Georges-André Carrel. De l'idée de «performance» à l'anglo-saxonne, on est peu à peu passé à une vision beaucoup plus personnelle et intériorisée, prônant le dépassement de soi, dans une optique beaucoup plus estudiantine. Pourquoi? Parce que le sport de haut niveau fait peur aux jeunes d'aujourd'hui. Ils n'ont pas envie de finir comme des robots qui ont de moins en mois de sang humain dans les veines. En cela, les étudiants sportifs ont leur rôle à jouer. Ils représentent à mes yeux l'espoir d'un renouveau d'un idéal sportif nettoyé des tricheurs, sans laboratoires…Ce n'est pas utopique. C'est fondamental.»

et les vrais pros?

Nous avons joint Stanislas Wawrinka, en vacances depuis le tournoi ATP de Bercy, afin de savoir si la vie du sportif professionnel était fondamentalement différente de celle de nos étudiants sportifs. En ce qui concerne les entraînements, la différence est minime: «4 heures par jour, plus une heure de physique, nous explique le tennisman. Mais tout cela change beaucoup en période de compétition.» Quant à l'encadrement financier, il n'est pas si différent de celui des étudiants avant les premiers gros résultats de Stan: «Mes parents ne m'aident plus depuis environ deux ans. Mais je ne m'en serais pas sorti sans eux. Ensuite, plus tu fais de résultats, plus tu es soutenu. Mais je suis toujours entouré des mêmes personnes depuis le début. Et ça c'est très important.»

Lorsqu'on lui demande son impression face aux plannings des étudiants sportifs, Stanislas rejoint Georges-André Carrel:«C'est d'abord une question de passion. Que tu fasses des études ou pas, les sacrifices sont les mêmes. Mais c'est clair que gérer les études et les compétitions, ça fait beaucoup. Cela ne me paraît pas possible de pouvoir donner 100% dans les deux.»