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Des chantiers aux auditoires

La truelle remplacée par la plume

Rien ne prédestinait Francesco Garufo à gravir les différents échelons de la hiérarchie universitaire. Et pourtant, après un apprentissage de peintre en bâtiment, le trentenaire obtient une licence en histoire, sciences politiques et archéologie classique. Il effectue, ensuite, un master post-grade, suivi d’un doctorat sur l’histoire horlogère suisse et l’immigration. Actuellement, le chercheur est maître-assistant à l’Université de Neuchâtel. Né d’un père italien et d’une mère espagnole, le scientifique grandit dans un univers où l’artisanat règne en maître. «Mon père détenait une petite entreprise dans le secteur de la construction», précise-t-il. Un milieu modeste mais, néanmoins, stimulant. «Très curieux de nature, mes parents ont très vite appris le français. Et mon père s’est beaucoup impliqué dans la vie sociale de la région», explique-t-il.

Dévoreur d’histoire

Quand vient l’heure de décider de son avenir professionnel, le jeune homme opte pour un apprentissage. «Je m’ennuyais trop en classe et puis je ne me voyais pas passer toutes mes journées sur les bancs d’école», souligne-t-il. Une fois son CFC en poche, le Neuchâtelois œuvre tout naturellement pour l’entreprise de peinture de ses parents. «J’ai travaillé 6 ans à plein temps. Et même si le métier était plutôt dur physiquement, je garde un excellent souvenir de cette époque», explique-t-il. C’est à cette période également que le futur bachelier se passionne pour l’histoire. «Le soir, lorsque je rentrais des chantiers, je me ruais sur les livres évoquant le temps jadis. J’avais soif de savoir», se rappelle-t-il. L’universitaire se rend vite compte qu’il a besoin d’une plus grande stimulation intellectuelle. Trilingue, il décide de devenir traducteur. Mais pour suivre la formation menant à cette profession, il faut être titulaire d’une maturité fédérale. L’Italo-suisse se lance alors dans le gymnase du soir. «C’était la solution idéale car elle me permettait de travailler pour gagner ma croûte, la journée, tout en étant nourri sur le plan mental», précise-t-il. Francesco Garufo effectue alors quatre fois par semaine les trajets Le Landeron (NE)-Lausanne - trois heures de train aller-retour - les cours se tenant dans le chef lieu du canton de Vaud. Un rythme de vie intense s’instaure alors: «Je rentrais du gymnase du soir vers minuit et, le lendemain, j’endossais ma salopette de travail à 7 heures». Quant à ses week-ends, il les passe à réviser.

Le passé pour objectif

Un quotidien fait de sacrifices et qui laisse peu de place aux loisirs. Mais que le chercheur ne regrette pas. «C’est à ce moment-là de ma vie que j’ai décidé d’étudier l’histoire à un plus haut niveau. Le métier de traducteur est, certes, passionnant mais, ma maturité en poche, au moment de m’inscrire à l’université, j’ai opté pour la branche historique. Je ne me voyais tout simplement pas apprendre autre chose», indique-t-il. Le scientifique finance sa formation grâce à une maigre bourse et en travaillant successivement sur les chantiers et pour le Teletexte. «Pour moi, il était tout simplement impensable de dépendre de mes parents», précise-t-il. Une fois diplômé, il se rend compte que l’environnement universitaire lui plaît énormément - à tel point qu’il décide d’y rester en effectuant une thèse. «Étudiant, j’adorais les séminaires de recherche et le rôle actif qu’on était amené à y jouer. Nous nous transformions alors en véritables producteurs de savoir et n’étions plus de simples receveurs passifs de connaissances. Lorsqu’une place d’assistant de recherche en sciences historiques s’est ouverte, j’ai sauté sur l’occasion».

Le moi en suspens

Si son vécu de fils d’immigrés a orienté son choix d’études sur l’histoire des migrations, ses recherches dépassent cette dimension: «En tant qu’universitaires, nous nous devons de produire un savoir qui, s’il est motivé par notre propre vie, doit s’en détacher pour gagner en solidité et crédibilité». L’universitaire se plaît décidément très bien dans son habit de chercheur. Mais il n’a pas, pour autant, tourné le dos à son premier métier: «j’apprécie encore peindre. Je m’y adonne, d’ailleurs, avec plaisir durant mes loisirs», conclut-il.


Démocratisation en question

En Suisse, la majorité des étudiants ont, eux-mêmes, des parents au bénéfice d’un diplôme universitaire. Selon une recherche internationale menée en 2013, notre pays affiche la quatrième corrélation la plus élevée entre le nombre d’années d’éducation des parents et des enfants. Ainsi, la probabilité d’obtenir une maturité gymnasiale est de 25% pour les élèves de parents avec une formation tertiaire. Cette proportion n’est que de 19% pour les écoliers dont les ascendants n’ont pas atteint ce niveau d’études. À l’échelon supérieur, l’écart se creuse encore plus. Ainsi, seuls 10% des jeunes ayant des parents ouvriers effectuent une formation à l’université.