Trop d’étudiants fâchés avec l’orthographe

Les étudiants font de plus en plus de fautes dans leurs copies. Loïc Drouallière l’a démontré. Cet enseignant-chercheur à l’université de Toulon en expression-communication s’est en effet penché sur les copies d’examen d’étudiants en fin de première année de licence en sciences économiques dans une université parisienne. Le constat est sans appel : en presque vingt ans, la moyenne des fautes sur cent mots est passée de 2,73 % à 5,92 % en 2012.

Dans le livre qu’il vient de publier – Orthographe en chute, orthographe en chiffres. Deux expériences édifiantes (L’Harmattan, 274 pages, 20,99 euros), il raconte qu’il a envoyé 200 CV présentant les mêmes caractéristiques, l’un sans fautes, l’autre avec. Résultat : « Les prises de contact ont été de 60 % supérieures pour les CV sans fautes », indique-t-il. Loïc Drouallière a pris le taureau par les cornes : depuis 2006, il donne des cours d’orthographe et de grammaire à ses étudiants.

Orthographe, syntaxe, vocabulaire, grammaire… Universités et grandes écoles s’y sont mises. Face aux lacunes de ses étudiants, l’université de Bourgogne a créé, en 2013, un centre de pratique de l’écrit et de l’oral, et engagé un professeur agrégé de linguistique pour s’en occuper. « Comme toutes les universités et les grandes écoles, nous constatons depuis plusieurs années un manque de maîtrise de l’écrit et de l’oral et un besoin d’accompagnement pour les étudiants », explique Stéphanie Grayot-Dirx, professeure de droit privé et vice-présidente chargée de la réussite en licence.

Des permanences sans rendez-vous, des stages et des ateliers sont proposés sur inscription et sur la base du volontariat. « Obliger un jeune à suivre un cours est contre-productif », assure la vice-présidente. Néanmoins, ceux qui ont beaucoup de difficultés sont encouragés à y aller. Et ça marche. « Les ateliers et les stages sont pleins », se félicite Stéphanie Grayot-Dirx. L’université réfléchit même à valoriser le travail des étudiants en leur accordant des ECTS (ex-unité de valeur comptabilisée pour obtenir son diplôme).

Un module de langue française

Cette décision, Paris-Ouest-Nanterre l’a prise à la rentrée 2014. En s’appuyant sur les compétences linguistiques, l’université s’est dotée d’un module de langue française destiné à tous les étudiants de première année de licence (environ 7 000 étudiants). « L’objectif n’est pas seulement l’orthographe, mais aussi la grammaire, le choix du mot juste et la production d’écrits », souligne Christophe Bréchet, vice-président de la commission de la formation et de la vie universitaire.

Proposé au premier semestre, ce cours d’une heure trente sur douze semaines donne droit à 1,5 ECTS pour peu que l’étudiant réussisse l’examen final – un QCM pendant la session d’examen. Aux partiels de 2015, sur 4 526 présents à l’examen, 79 % ont eu une note supérieure ou égale à 10, alors que l’université attendait un taux de 58 %. La moyenne a atteint 11,5, les notes oscillaient entre 2 et 18.

Mauvais niveau ou simple laisser-aller ? Certes, de nombreux grammairiens estiment que la place consacrée à l’orthographe dans le primaire et le secondaire est insuffisante. Mais cela n’expliquerait pas tout. Anne Banny, professeure de lettres et doyenne de la faculté de lettres à l’Institut catholique de Paris, observe depuis des années un certain relâchement de la part des étudiants : « Ils maîtrisent les règles, mais estiment que l’essentiel est ailleurs. Ils ont un rapport différent à l’orthographe de celui de leurs parents. Sans compter que l’on a délégué le contrôle de la qualité de la langue à des outils automatiques. »

Le problème, souligne Anne Banny, c’est que relâcher la qualité d’écriture conduit à un relâchement lexical. Pour que les étudiants réagissent, elle enlève un point toutes les cinq fautes. Les étudiants sont prévenus. La pression fonctionne. « En début d’année, mes étudiants m’ont rendu un devoir fait à la maison, le plus mauvais a perdu sept points. Trois semaines plus tard, ils ont eu un devoir sur table, le plus mauvais n’a perdu qu’un point… »

Néanmoins, son établissement a développé en 2012 un module de perfectionnement en expression française, qui est suivi par une quinzaine d’étudiants volontaires de la faculté de lettres. « Nous réfléchissons à le rendre obligatoire pour ceux qui en ont vraiment besoin », dit-elle. Tous les autres passent, depuis la rentrée 2014, le test orthographique du Projet Voltaire – un service en ligne d’entraînement à l’orthographe qui peut conduire à une certification. Histoire de leur faire prendre conscience de leur niveau.

Apprentissage en ligne

Universités et écoles ont recours à ce type de plate-forme privée d’apprentissage en ligne. Le Projet Voltaire revendique l’utilisation de son service par une cinquantaine d’universités et un millier d’établissements du supérieur. Depuis sa création, en janvier 2010, la certification Voltaire a été obtenue par 40 000 étudiants, dont environ la moitié pour la seule année 2015. « Dans beaucoup de cas, c’est une note prise en compte pour la moyenne. Mais de plus en plus d’écoles d’ingénieurs exigent un score minimum pour l’obtention du diplôme », indique Pascal Hostachy, président fondateur de l’entreprise Woonoz et du Projet Voltaire. De fait, à l’Ecole catholique des arts et métiers de Lyon, obtenir un score de 500 points au moins sur 1 000, soit le niveau considéré comme professionnel, est une condition pour être diplômé de la filière généraliste.

A Montpellier Business School, avoir 500 sur 1 000 permet d’obtenir deux crédits sur les 60 nécessaires pour valider une année de master et quatre sur les trois premières années de scolarité. Outre les cours en ligne, des sessions d’orthographe et de grammaire sont organisées dans l’école pendant l’année. « L’adhésion des étudiants est très forte, et ils attendent que l’on s’occupe de cette question qui est très importante », témoigne Charlotte Reboud, responsable du module de préparation à la certification Voltaire.

Quelque 60 000 étudiants ont aussi déjà passé le test initial de la plate-forme Orthodidacte depuis 2010. « Un étudiant sur deux souffre de problèmes d’orthographe. 30 % de ceux que nous avons testés sont en grande difficulté et commettent des fautes très grossières », constate Michael Hiroux, cofondateur et président. L’importance redonnée à l’écrit dans les nouveaux programmes scolaires devrait faire remonter le niveau. En attendant, universités et grandes écoles se mobilisent.

(sources : Le Monde)

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