Benoît Perrin, 24 ans, étudiant à HEC Lausanne, prépare le grand saut existentiel à Hongkong

Ferblantier entre 16 et 20 ans, ce jeune Vaudois s’est lancé avec passion dans des études de business. Il a été choisi sur dossier par l’UNIL pour étudier à la prestigieuse Chinese University of Hong Kong. Il aspire à transformer sa vie dans la baie aux mille dragons

«Il me reste peu de temps, vous savez…» Sous le so­leil, la terrasse de la Banane – com­me on appelle la cafétéria de l’UNIL – papillonne. Dragues, palabres, ain­si file la vie estudiantine quand août adoucit les contours des jours. Mais Benoît Perrin, 24 ans, vient de lâcher des mots graves. Vous l’interrompez. Pardon? «Oui, il me reste peu de temps avant de vieillir», complète-t-il.

Ce mordu de théâtre, qui avoue un faible pour les acteurs Jean Dujardin et Romain Duris, vient d’achever avec succès sa deuxième année d’HEC, option management. Le 27 août, il s’envolera pour Hongkong, où il devrait boucler son bachelor. Pendant un an, ce Vaudois fréquentera The Chinese University of Hong Kong.

Privilège? Oui. Benoît Perrin est un des quatre étudiants – tous inscrits en HEC – sélectionnés sur dossier par l’UNIL pour ce séjour au long cours. ­­Il aura comme mis­sion de promouvoir l’alma mater vaudoise auprès de ses pairs chinois. Mais l’essentiel n’est pas là: ce fils d’un jour­naliste et d’une res­tauratrice d’art va écrire, il en est convaincu, un chapitre décisif de sa jeune existence.

A priori, vous avez déjà lu cette histoire, le fort en thème et en algorithmes que la Chine survoltée appelle. Sauf que ce n’est pas cela du tout. Benoît Perrin n’était pas programmé pour HEC. A 15 ans, il rase les murs de l’école. Trop tête en l’air, selon son expression, il se liquéfie face aux examens. Il se dit que les études sont un Olympe réservé à des athlètes de l’esprit. Il se rabat sur un apprentissage de ferblantier. Il ne raffole pas du métier, mais il en assimile les règles.

Vous le regardez, ses épaules de nageur, ses yeux mélancoliques mais résolus, ses mots posés. Et vous imaginez sa silhouette d’albatros sur les toits. Il s’y endurcit l’été quand le ciel castagne, l’hiver quand la bise transperce. Il vous raconte ces cinq ans de turbin comme une erreur de jeunesse. L’indépendance, le salaire, la voiture. Mais aussi les colères sourdes, parfois, contre le patron. «Et puis j’ai senti que je faisais fausse route, poursuit-il. J’ai eu une révélation à l’occasion d’un stage linguistique à Londres: les études ne me faisaient plus peur, j’aimais ça, même.» Tout se précipite: le repenti a 20 ans, il décide de passer la matu professionnelle, suit les cours ad hoc, l’obtient; enchaîne avec la passerelle Dubs, cet examen qui ouvre les portes de l’université.

A côté de cela, Koh-Lanta ferait presque figure d’aimable remise en forme. «Après cette course d’obstacles, j’ai eu quelques semaines devant moi, j’ai suivi en auditeur libre des cours à la fac de psychologie et de droit, mais ce sont ceux de la HEC qui m’ont convaincu. Il y était question de choses très concrètes, c’est ce dont j’avais besoin.»

Ce choix a son coût: Benoît doit rester chez ses parents. Fini la voiture, le revenu. Place aux cahiers et au… théâtre.

«C’est, avec les études, l’autre révélation de mes 20 ans, s’em­bal­le-t-il. Je lis Molière, qui est au programme de la matu. Je vois à Paris une version du Misanthrope qui m’élec­­trise, c’était osé, joueur, jamais j’avais vu un truc comme ça. Je voulais être comme ces acteurs. Depuis trois ans, je suis des cours de jeu à Lausanne. J’y ai rencontré des gymnasiens, des étudiants, des jeunes que je n’avais jamais fréquentés. Je me suis fait un nouveau cercle d’amis, je n’ai jamais été aussi heureux.»

Le théâtre le désinhibe, dit-il encore, libère une fantaisie qu’il ne s’imaginait pas, fait remonter en scène des colères longtemps couvées, «toutes mes hargnes du chantier». «Je ne pourrais plus vivre sans ça, c’est vital. J’ai déjà repéré une école de théâtre en français à Hongkong.»

Mais pourquoi la baie aux mille dragons, cette ville où une jeunesse en colère s’insurgeait il y a quelques mois contre des autorités chinoises pressées de faire rétrécir la démocratie hongkongaise? A cause d’un premier séjour linguistique, cinq semaines qui dansent en lampions dans la mémoire.

Ecoutez-le vous parler des happy hours. Un ascenseur fuse vers le ciel: tout près des nuages, un cocktail hallucinant vous attend; une porte s’ouvre vers un autre coin de paradis; vous tanguez, de passerelles en ruelles bizarres. Comme dans un conte initiatique, Benoît rencontre un tatoueur qui l’aspire, ce sont ses mots, dans son monde. Un été plus tard, il le rejoint à Londres et lui demande un tatouage. Sur le parvis de la Banane, soudain, il soulève son t-shirt: sur le flanc, un tigre se dresse au milieu de fleurs voluptueuses.

Benoît est romanesque. Mais pas candide. De sa plongée dans la mégapole, il attend un carnet d’adresses planétaire. Et des possibilités de travail. Son rêve? Trop tôt pour le formuler. «Ma certitude est que Hongkong va nourrir un projet dont je n’ai pas encore l’idée. Il n’est pas sûr que je revienne en Europe.»

Les quadragénaires sur le retour ont parfois des questions lourdes. Benoît, réussir sa vie, ce serait quoi? «Je voudrais vivre une suite d’aventures extraordinaires. Et pouvoir les raconter, vieux. Mon ambition n’est pas de faire carrière, mais d’allier mes compétences dans le domaine du business et ma passion de la scène. Ouvrir par exemple une école de jeu destinée à de futurs acteurs de cinéma.»

Et la famille, les enfants, est-ce une perspective désirable? «Pourquoi pas, mais pas jeune. Je suis plus souvent célibataire qu’en couple.»

On lui demande quels sont ­ses héros. «L’humoriste Gaspard Proust, parce qu’il a fait HEC avant de réaliser que gagner de l’argent était nul. Et puis l’écrivain américain Neil Strauss. Je suis un fan absolu de son livre The Game - Les secrets d’un virtuose de la drague . C’est l’histoire d’un timide maladif qui trouve que sa vie est un bide. Il n’arrive pas à approcher les filles, c’est son drame. Alors, il se met à fréquenter des dragueurs rodés, auprès de qui il apprend tout. A la fin, il se met avec une fille qui lui plaît. Je n’ai jamais lu un livre qui me parle autant. Moi aussi, j’ai voulu rattraper mes années d’échec.»

Benoît Perrin vous raconte mille choses. Sa conscience politique éveillée jeune. De gauche d’abord, quand il était ouvrier; de centre droit aujourd’hui, parce qu’il encourage l’action, l’entreprise, pense-t-il. Il avoue une sympathie pour Isabelle Chevalley, conseillère nationale, l’une des fondatrices d’Ecologie libérale.

On parle aussi parachutisme, une passion née à la fin de l’adolescence. Benoît effectue 25 sauts – «j’en aurais fait plus, mais c’est un sport coûteux». Le ciel le grise. Hongkong, pour lui, c’est aussi ça, l’ivresse de la hauteur faite métropole.

Comment voit-il ces dix prochains mois? Il louera une chambre sur les campus, 175 francs par mois. Il ne manquera pas un cours, promis, juré; s’initiera au mandarin, jouera la comédie à l’école de théâtre et voyagera à la moindre occasion. Sa bourse – 5000 francs pour l’année – n’autorise aucune folie, mais il travaille ces jours comme ferblantier pour la compléter.

L’un de ses films préférés est L’Homme qui voulait vivre sa vie , du cinéaste français Eric Lartigau. Romain Duris y joue un père de famille heureux qui décide de s’inventer une autre vie sous une nouvelle identité. Benoît Perrin adore ces histoires de rupture et de transformation. Le titre du film vaut comme talisman.

(sources : Le Temps)

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