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Web tracking : un calibrage personnel du net

Les multinationales « espionnent » nos faits et gestes en ligne, pour ensuite revendre ces informations aux plus offrants. Bien que la majorité soit au courant de cette pratique, le « comment » reste un mystère aux yeux des profanes. Projecteur sur un marché qui touche de plein fouet les étudiants.

Question de rentabilité


Au début du World Wide Web, il suffisait de créer des pages, mais rapidement il a fallu aussi les héberger, ce qui coûte toujours plus cher. Les premiers utilisateurs refusant de payer, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazone), pionniers du net, sont obligés de trouver une autre source de financement. La solution miracle s’impose d’elle-même : la publicité. Après l’échec des fenêtres pop-up, les start-up du web réfléchissent à la valeur d’une annonce sur la toile par rapport à d’autres supports, comme la télévision. Ainsi, l’idée de pister l’utilisateur émerge.

Récolte d’informations


Le moyen le plus utilisé est les trackeurs. Ces sites, tiers à celui que tu visites, reçoivent une notification dès que tu y fais un tour et en profitent pour recueillir toutes sortes de données. Par exemple, certains d’entre eux sont des régies publicitaires qui déposent des cookies sur ton ordinateur. Loin des succulents biscuits, ces petits fichiers textes enregistrent tes déplacements et dès que tu visites un autre site qui fait partie du même groupe publicitaire, ils commencent à te profiler. Ainsi, quand tu vois une publicité sur la toile, elle découle d’une analyse en temps réel des profils similaires au tien, puis d’une enchère entre plusieurs marques afin de savoir laquelle va remporter le droit d’apparaître sur ta page. Sur les sites de ventes ou d’écoute de musique en ligne, les annonceurs n’ont pas besoin du tracking, car tu donnes volontairement tes préférences et construis ainsi ton portrait d’utilisateur.

Aux États-Unis, cette pratique a donné lieu à un procès pour le motif « d’écoute électronique », mais les charges sont vite tombées. La Cour fédérale a conclu que les trackers pouvaient être considérés comme un « ami » qui écoute une conversation téléphonique. Sous-entendu : aucun mal n’est fait, et donc les entreprises ne sont pas dans l’illégalité. Suite à cette approbation des autorités, les GAFA se ruent sur la poule aux œufs d’or : le web tracking.

Depuis 2015, une directive européenne oblige les sites utilisant des cookies à demander explicitement l’autorisation de l’internaute. Concrètement, une bannière apparaît en dessous de l’URL demandant d’accepter leur utilisation. Le problème persiste, car il n’y a aucun moyen de refuser d’être pisté. La seule option est de les accepter ou de quitter le site.

Marchandage de données


Une fois les informations recueillies (âge, sexe, localité, profession, centres d’intérêt, etc.), le but est de les revendre au plus offrant. Les GAFA excellent dans ce domaine. Depuis plus de 10 ans, ils collectent tes renseignements personnels sans même que tu t’en rendes compte, comme tes likes ou tes vidéos consultées. La masse de données ainsi accumulée, que l’on appelle aussi big data ou mégadonnées, génère de nouveaux modèles économiques. Par exemple, des assurances maladies offrent des remises contre un suivi détaillé de l’état de santé ou de la pratique sportive de leur client.

Illégal ? Et non. Du moment que tu as donné ton consentement c’est tout à fait autorisé. Souvent mentionné dans les conditions d’utilisation que personne ne lit de A à Z. Certains sites plus sournois précisent ne pas revendre les informations personnelles, mais les utilisent à des fins commerciales. C’est-à-dire qu’ils se servent de tes données pour sélectionner les publicités et donc vendre aux annonceurs des espaces publicitaires bien plus chers que sans ce ciblage du public selon les groupes d’intérêt.

Quelle importance au fond ?

« Prétendre que votre droit à une sphère privée n'est pas important parce que vous n'avez rien à cacher n'est rien d'autre que de dire que la liberté d'expression n'est pas essentielle, car vous n'avez rien à dire. » Edward Snowden, informaticien, ancien employé de la CIA et lanceur d’alerte.

Le problème ne réside plus dans l’exploitation de tes seules données, mais plutôt dans l’impact que la masse d’informations collectées, sur toi, mais aussi sur les autres internautes, peut avoir sur elle-même et sur ses contributeurs. Cette entité à part entière, constituée par toutes ces données, communément appelée big data, devient très difficile à arrêter. Grâce à de multiples algorithmes plutôt obscurs, cette masse de données décide de ce qu’on voit ou ne voit pas sur la toile, selon les informations qu’elle détient sur chaque internaute. Ainsi, Internet n’affiche pas les mêmes résultats de recherches selon l’historique de ton ordinateur ou le fait que tu sois connecté sur un de tes comptes permettant de t’identifier (par exemple facebook ou gmail).

En définitive, le web ressemble de plus en plus à une multitude de « bulles », plus ou moins fermées sur elles-mêmes, composée par des filtres catégorisant nos préférences passées, dont on n’est pas forcément conscient. D’ailleurs, la prochaine évolution d’Internet vise à automatiser le traitement des données pour rendre le web « intelligent ».