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Yvan Bucciol

À plus de 50 ans, j’ai commencé un master.

 

Comment en es-tu arrivé à commencer un master à ton âge?
Après l’école primaire, j’ai commencé un apprentissage de mécanicien électricien à Lausanne, d’une durée de 4 ans. J’y ai appris le montage et la réparation du matériel dans le secteur de l’industrie électrique et mécanique. Puis, par contact, j’ai obtenu un emploi dans une entreprise pointue travaillant pour le CERN. Sans le vouloir, je me suis donc retrouvé entouré d’ingénieurs de haut vol qui étaient très disponibles à l’explication. Cela a suscité chez moi un grand intérêt et m’a poussé à commencer l’Ecole d’Ingénieurs de Genève. Je m’y suis rendu tous les soirs, pendant 5 ans, après le travail.

Cette période n’a pas été facile, c’était épuisant et j’ai dû faire des sacrifices. J’étais jeune et j’aurais souvent préféré sortir avec mes amis. Mais cela m’a permis de me formater à un tel rythme de vie! Je travaillais 40 heures à l’usine et en passais environ 25 de plus à étudier la génie électrique. Puis, une fois mon diplôme en poche, j’ai commencé à m’intéresser à la réussite de l’entreprise dans laquelle j’évoluais. C’est pour ça que j’ai décidé de m’inscrire en HEC à Genève. Mon emploi du temps s’est ainsi transformé. Durant 3 ans, j’étais à l’université pendant la journée tout en travaillant à gauche à droite le soir. J’étais qualifié et je n’avais donc pas de difficulté à trouver des jobs. À la sortie de mes études, j’ai rapidement obtenu un emploi dans une grande entreprise suisse d’importation de courant électrique. Je touchais ainsi à un nouveau domaine, ce qui m’a amené à faire un diplôme post-grade de 2 ans à l’Ecole Polytechnique de Lausanne en énergie. J’ai été consultant durant plusieurs années dans les nouvelles technologies, je faisais de la gestion de projet et du management.

Finalement en 2004, j’ai décidé de me mettre à mon compte. Je me suis dirigé vers le développement durable en me spécialisant dans les émissions de gaz à effet de serre. Après quelques années, j’ai compris que ces questions étaient liées à l’urbanisme. Je faisais alors face à mes limites; je ne connaissais pas ce domaine. Alors fidèle à mes vieilles habitudes, à passé 50 ans, j’ai commencé un master en urbanisme durable à l’Université de Lausanne. Il me reste un semestre et c’est super intéressant!

Comment as-tu trouvé la motivation nécessaire à un tel rythme de vie?
Je suis un vrai curieux et c’est mon vilain défaut. Je veux répondre aux nombreuses questions que je me pose. Il existe alors deux solutions, lire beaucoup de livres ou suivre des formations variées. Je ne peux pas expliquer autrement ma motivation car mon parcours n’était pas construit, les choses se sont plutôt mises en place d’elles-mêmes. Si je n’avais pas été engagé par un électricien, je n’aurais sûrement pas fait un master en énergie. Ce qui ne m’aurait pas mené jusqu’aux émissions de gaz à effet de serre et donc je ne me poserais pas de questions sur l’urbanisme.

En fonction des opportunités, j’ai construit ma route. Tout ce que je fais me plaît, sinon je ne le fais pas. Je suis marié et j’ai 4 enfants, mais j’ai toujours fait en sorte d’avoir assez de temps à leur consacrer: je ne les ai jamais mis de côté.

L’aspect financier pourrait pourtant en effrayer plus d’un!Je n’ai pas comme ambition de devenir riche, sinon j’aurais accepté un emploi dans une grande entreprise et bénéficierais aujourd’hui d’un gros salaire et d’un rythme de vie plus aisé.

Quand je suis sorti de l’université, des banques, des assurances ou encore des sociétés de conseil m’ouvraient leurs portes, mais ça ne m’intéressait pas. J’ai choisi de faire des sacrifices au niveau du revenu au profit de l’acquisition de nouvelles connaissances. C’est ce qu’il me faut pour être heureux. Je ne pense pas que ce soit par peur de la facilité, mais c’était pour moi une évidence. Si on m’avait dit pendant mon apprentissage que mon parcours se déroulerait ainsi je n’y aurais pas cru une seconde!

Évidemment, j’ai aussi eu de la chance, je n’ai pas eu d’accidents ou de maladies qui auraient pu freiner mes envies. Je n’ai pas peur de travailler beaucoup sans gagner énormément.

Soyons sincères, ne ressens-tu pas un décalage avec les autres étudiants?
Il faut relativiser: je fais un master en études avancées. Je suis en cours avec des gens d’une trentaine d’années, qui sont parallèlement en emploi et qui ont un vécu similaire au mien. Mais voilà 6 ans que j’enseigne à des jeunes adultes à Yverdon et je n’ai jamais senti de difficultés relationnelles à échanger avec cette tranche d’âge. Ma fille a 22 ans et elle est dans la même faculté que moi. J’avoue que j’ai pris du temps à m’y faire. Mon premier jour à l’université de Lausanne, le professeur m’a directement lié à ma fille et ça m’a fait tout drôle! Mais maintenant tout se passe très bien, c’est super sympa, et pour elle aussi! Elle connaît son père et ce n’est pas un tabou entre nous. Mais j’ai décidé que cette formation serait la dernière…jusqu’à la retraite!

Diversifier ses connaissances par de nombreuses formations, penses-tu que c’est monnaie courante aujourd’hui?
Oui, de plus en plus. Personnellement, j’ai de la peine à concevoir le monde autrement. À mon époque, on nous demandait de choisir un apprentissage qui nous conditionnait pour toute notre vie. Aujourd’hui ce discours est dépassé. Les jeunes savent qu’ils vont devoir se battre et probablement changer plusieurs fois de métier. Dans ce contexte, il faudrait pouvoir encourager davantage la possibilité d’évoluer en permanence selon ses besoins aux différents stades de la vie. Mais une composante importante entre en jeu: l’envie.

Tout le monde n’est pas prêt à tout laisser tomber pour passer à une autre discipline du jour au lendemain. Je pense que j’ai expérimenté une piste qui va être largement généralisée. Dans les années à venir, des étudiants de plus de 50 ans, il y en aura bien plus et c’est tant mieux!