En descendant du songe

Cher mystère des mots,

Où naissent les histoires ? Sont-elles déjà écrites quelque part dans le ciel ? Ou l’étoffe de nos rêves est-elle tissée avec des fi ls de hasard, que l’on mêle pour créer l’en- chantement ? Je me remémore notre rencontre, et je me demande si j’ai vu des signes. Ce jour-là avait-il une qualité différente ? Était-il mystique ? Était-il bleu ? Peut-être une rose est- elle née quelque part. Peut-être une étoile nous a-t-elle offert un peu de son labeur magique. Peut-être un ange a-t-il jeté sur nos routes quelques semis poétiques. Ou peut-être avons-nous brodé ce songe de toutes pièces, cristallisation fantaisique de deux esprits aimantés. Descendons du nuage et rejoignons le réel un instant. C'était il y a quelques mois. Dans le souvenir, une éter- nité. Le moment est déjà bien trop lointain pour y re- venir sans le fantasmer un peu, mais essayons. Je me trouve dans une salle de classe de l’université de ***. Nous sommes en automne et j’ai sûrement dans le coeur une douce mélancolie.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi.

Je suis élève. Vous, professeur. Votre costume d’académicien vous sied, mais j'aime croire que ce jour-là, j’ai vu derrière l’habit celui qui danse sous la pluie. Celui qui attrape des lézards avec un lasso en brin d’herbe. Celui qui dessine des papillons. Celui qui bat la campagne en parlant aux lutins et aux fées. Celui qui rêve. Celui avec qui rêver. Vous avez jeté en l’air une question : « Comment fait-on, là, aujourd’hui, pour sortir du chaos ? » Je l’ai attrapée et plus tard, par e-mail, je vous ai répondu : « En créant des histoires. ». Bien sûr. Car nous descendons du songe. Ou plutôt, nous en dégringolons. Et essayons d’y retourner. Jour après jour, saison après saison, feuille après feuille, flocon après flocon, bourgeon après bourgeon et fruit après fruit, nous faisons le sens, nous faisons la magie. Mais quand nous nous envolons trop haut, nos ailes s’embrasent

En ce temps-là, la vie était plus belle. Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui.

Avec des mots, du papier, nous avons construit notre jolie légende. Comme des enfants-coquelicots, à se rouler dans le bac à sable des utopies. Puis est venue l’ombre, hombre. Car toujours il faut regagner la terre ferme. S’arrimer au quotidien. Sinon... ? Sinon, peut-être égarons-nous nos âmes. Personne ne vit bien longtemps d’amour et d'éther. Il nous faut un nid, aussi. Une maison. De la terre, de la chair, du réel. Ita est. On ne pèse pas deux fois ce qui nous est cher. Vous étiez lumière avant la nuit, et la nuit n’éteint pas le soleil. Il disparaît, seulement. C'est ainsi.

La vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement, sans faire de bruit.

Sur la jetée.Je vous attends, dans le froid, en regardant le ciel. Je crois voir une étoile fi lante. C’est seulement un avion. Vous êtes en retard, je me demande si vous viendrez. Puis j’entends vos pas. Vous vous asseyez à côté de moi. Je vous donne une couverture. J’ai amené du café, vous du whisky et de la crème fouettée, pour faire des irish coffees. Vous avez pensé à prendre des bougies. Il y a trop de vent, elles ne s’allument pas. Nous parlons et ce que nous disons n’a pas d’importance. Peu à peu, nous gelons. Je ne sens plus mes pieds. Vous me serrez dans vos bras. Nous dansons une valse, avec pour seule musique celle des étoiles. Nous écrivons un poème, nous le mettons dans une bouteille. Nous offrons nos mots au lac. Vous me racontez l’histoire d’Icare. Je la connais déjà. Je vous invite à venir vous réchauffer chez-moi. Dans la cuisine, nous n’allumons pas la lumière, car la lumière est effrayante. Vous frottez mes pieds pour faire circuler le sang. Nous buvons du thé. Au matin, vous vous en allez très tôt. Bien avant le lever du soleil. Je ne vous ai jamais revu. Nous avons cessé de nous écrire. Vraie vie. Souvenirs nus.

Et le vent du nord les emporte. Dans la nuit froide de l’oubli.

Au commencement était le mythe. Et à la fi n ? Qu’est-ce qui demeure ? Toujours la même vieille chanson. Un homme rencontre une femme. De cette malle-là nous avons tiré des sequins dorés, nous avons fait un peu d’alchimie. Elle est jolie, notre histoire. Improbable. Littéraire. Mais la vie n'est pas un roman. Les romans ne se vivent pas. Ils s'imaginent, ils s'écrivent, jusqu'au point fi nal. Les personnages alors, le décor, l'émotion, tout disparaît. Rideau. Puis un lecteur ouvre le livre. La magie renaît. Il était une fois, il était une fi n. Il était une fois...

 Je n'ai que faire des regrets. Et la chanson que tu chantais, Toujours, toujours, je l'entendrai.

Bien à vos plumes,

Note : Les citations en italique proviennent de la chanson Les Feuilles mortes écrite par Jacques Prévert.