interviews

Vivre avec les poumons d'un autre

Le second souffle de Michel Stückelberger

Michel Stückelberger est un véritable miraculé. Atteint de la mucoviscidose - une maladie génétique rare - l’étudiant en radiologie a vu la grande faucheuse de près. Ses poumons gravement obstrués, le jeune homme a failli mourir en 2010. Sa survie, il la doit à une greffe pulmonaire qui l’a sauvé - in extremis -. Rencontre avec cet amoureux de la vie pour qui second souffle rime avec véritable résurrection.

Comment se prépare-t-on à accueillir l’organe d’un autre?

Je dois avouer que, sur le moment – étant entre la vie et la mort – je n’ai pas trop réfléchi. Lorsque le médecin est venu me proposer cette opération, j’ai dit oui sans hésitation. Sur ce point, j’ai eu beaucoup de chance. Quand je pense que certaines personnes attendent des années pour trouver un donneur. Les longues listes d’attente, je ne les ai pas connues.

De façon plus générale, il est vrai que vivre avec le cœur ou les poumons d’un autre peut s’apparenter à un véritable chemin de croix. Je connais des personnes qui ont fait un rejet psychologique et la transplantation n’a pas marché sur le plan physiologique. Heureusement, tel n’est pas mon cas. Vivre avec les poumons d’un autre ne m’empêche pas de dormir (rires!)

Comment s’organise la vie quotidienne d’un transplanté?

La première année, il faut apprendre à vivre avec son nouvel organe. Sur ce point, la pratique sportive m’a beaucoup aidé. J’adore avaler les kilomètres avec mon vélo. Effectuer de l’exercice physique m’a permis de recouvrer mes muscles et mon poids d’avant tout en renforçant mes nouveaux poumons. Mais la vie d’un transplanté ne s’arrête pas là. Il y a un traitement spécifique à suivre à vie. Les médicaments prescrits sont assez lourds et il faut les prendre à heure régulière. Je me lève tous les jours à 7 heures pour prendre mon anti-rejet. Il faut, également, faire régulièrement des prises de sang.

Fort heureusement, les résultats de la greffe d’organe se font immédiatement sentir, ce qui est gratifiant. Avant, ma maladie nécessitait une implication personnelle très importante (ndlr: séances de physiothérapie, régime alimentaire strict et bonne hygiène de vie) pour de maigres résultats. Les effets bénéfiques sur la santé n’étaient alors que peu visibles alors qu’aujourd’hui, je ressens un bien-être inouï.

Comment concilies-tu tes études avec le traitement?

Maintenant, plutôt bien. Mais je dois avouer que cela n’a pas toujours été le cas. Je suis titulaire d’une maturité professionnelle en santé-sociale et d’un CFC. Lorsque j’ai commencé mon Bachelor en technique de radiologie, j’avais des lacunes à combler car je ne bénéficiais d’aucune expérience pratique dans le domaine. Les cours, je n’y comprenais pas grand-chose et les professeurs ne m’ont fait aucune fleur. En plus l’ambiance de l’école était différente de celle que je m’étais imaginé. J’avais une vision plus humaniste et plus solidaire du domaine des soins.

Difficulté supplémentaire, par le biais de ma maladie, je suis confronté au monde médical en tant que patient. Dernièrement, par exemple, je me suis fait hospitalisé pour une pneumonie. Si je me fais soigner par la fille de mon professeur, la situation a de quoi être quelque peu déroutante. En même temps, ma maladie me permet d’aborder les patients que je soigne avec beaucoup d’empathie.

Actuellement, le plus dur à gérer demeure la fatigue. Ces temps-ci, je m’endors tous les soirs à 21h30. Mais je ne veux pas me plaindre. Dans ma classe, il y a une Russe qui ne parle pas un mot de français et un père de famille avec deux enfants en bas âge. On a tous nos petits tracas du quotidien.

Peut-on avoir des projets après avoir subi ce genre d’intervention?

La transplantation pulmonaire est celle qui marche le moins bien. Les poumons étant en contact avec le monde extérieur, les risques d’infection sont nombreux. Et le système immunitaire est mis à rude épreuve. De ce fait, après 5 ans, les transplantés ont une chance sur deux de devoir subir une seconde greffe sous peine de mourir. Cela me fait réfléchir mais ne m’empêche pas d’avoir des projets. Et puis, j’adore me répéter la citation d’Oscar Wilde: «La sagesse c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit!»

Plus concrètement, je souhaite, tout d’abord, terminer mes études puis travailler à mi-temps et fonder une famille. Avant ma greffe, je n’avais pas de vision d’avenir puisque j’étais condamné à mourir jeune (voir: encadré).

Actuellement, la Suisse manque de donneurs, des solutions pour pallier à cette pénurie?

Il faut faire de cette problématique une priorité politique et s’inspirer des pays voisins qui sont en avance sur notre nation. Le consentement implicite (ndlr: la personne doit indiquer avant sa mort si elle désire ne pas donner ses organes. Si elle ne le fait pas, alors ses organes sont automatiquement prélevés une fois décédée), je suis pour parce qu’en Suisse des personnes meurent chaque mois faute de greffe  à temps. Il convient, également, de mettre sur pied des campagnes de sensibilisation fortes et efficaces. L’idée n’est pas que tout le monde soit pour le don d’organes mais que chacun communique son choix sur ce sujet à son entourage.

Aujourd’hui, il est urgent d’augmenter la présence des centres de prélèvement d’organes dans les hôpitaux. Actuellement, en Suisse, seuls quelques établissements hospitaliers en sont dotés.

Enfin, il faut combattre certaines idées reçues. Le trafic d’organes diabolise déjà suffisamment ce sujet très émotionnel. Fort heureusement, dans notre pays, nous avons un cadre strict. Il faut bien comprendre qu’à travers le don d’organes, on ne tue pas une personne pour en sauver une autre. La mort cérébrale doit être constatée pour prélever un cœur, un poumon ou tout autre organe. Et les médecins agissent avec respect et déontologie. Le corps est bien traité et, en aucun cas, torturé comme on le pense.

Pour être cohérent, celui qui refuse de donner un de ses organes doit aussi ne pas accepter un rein, un poumon ou un cœur le jour où son pronostic vital ou celui de son enfant est engagé. Or la probabilité d’avoir besoin d’un nouvel organe est plus importante dans la vie d’un homme que celle d’en donner un. Pour moi, le don d’organe doit s’imposer comme une évidence.


La mucoviscidose, un mal incurable

La mucoviscidose est une maladie génétique rare qui atteint un nouveau-né sur 2’500. Elle se caractérise par des troubles digestifs et respiratoires. La respiration se trouve entravée par d’épaisses sécrétions dans les bronches. Les problèmes digestifs sont liés au dysfonctionnement du pancréas.

Les malades doivent effectuer, quotidiennement, de la kinésithérapie et prendre régulièrement des antibiotiques afin de lutter contre les infections respiratoires. Auparavant, les personnes atteintes n’atteignaient pas l’âge de 18 ans. Grâce aux progrès de la médecine - aux transplantations pulmonaires notamment - elles peuvent espérer vivre plus longtemps. À noter qu’à l’heure actuelle, il n’existe toujours aucun traitement pour guérir cette pathologie.