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La colocation intergénérationnelle

Plus qu'une simple affaire de retraités

C’est une tendance qui s’étend en Suisse comme ailleurs. Face à la pénurie de logements, les étudiants cherchent des solutions alternatives. Et des modes de vie atypiques de voir le jour. C’est ainsi que sont nées les colocations intergénérationnelles, une formule qui rencontre de plus en plus d’adeptes. Etumag est allé à la rencontre de Marie-Madeleine, 61 ans, et Damien, 29 ans, qui nous font part de leur expérience.

Le rendez-vous est fixé chez Marie-Madeleine, enseignante à l’école professionnelle de Lausanne et à la HEP. Son appartement impressionne par ses couleurs vives et la vie qui en déborde. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser cette pétillante sexagénaire à partager son  logis avec un étudiant? A l’origine, une triste histoire. «Lorsque j’ai perdu mon époux, il y a quelques années, je me suis retrouvée seule dans un grand appartement de quatre pièces et demie». Après une discussion avec son fils qui habite le même immeuble, l’idée émerge d’échanger leur demeure. Un projet qui séduit Marie-Madeleine car le logement de son descendant est plus petit. «Le mien était devenu bien trop spacieux». Toutefois, la perspective de quitter son nid douillet l’attriste. L’autre option est donc de le partager. Pour Marie-Madeleine, il est évident que l’élu sera un étudiant. La difficulté que rencontrent les jeunes pour se loger est, pour elle, une raison suffisante.

Une évidence

Une annonce sur la plate-forme logements de l'Université de Lausanne et de l’EPFL plus tard, elle rencontre Damien, un étudiant en architecture de 25 ans. «Premier arrivé, premier servi!» La sexagénaire ne rencontrera personne d’autre. Entre les deux, le courant passe tout de suite. «Lors de notre premier rendez-vous, nous parlions déjà de notre passion commune pour la bonne cuisine!», précise le jeune homme. «Et puis bon, il faut le dire, Damien, c'est une perle», renchérit Marie-Madeleine. L'appartement plaît à l'étudiant, qui n’hésite pas à signer le contrat de sous-location.

Passions partagées

Dès le premier soir, le jeune homme insiste sur la nécessité de communiquer et de mettre les problèmes sur la table, ce qui coule de source pour Marie-Madeleine. Les deux complices font ensuite des aménagements dans la chambre de l'étudiant qui rentre chez lui le week-end. «Un moyen pour chacun de retrouver sa bulle d’air», précise-t-il. Petit à petit, la colocation se met en place et les choses se déroulent naturellement pour les deux nouveaux compères.

Tellement facilement que même lorsqu'ils décident de réserver un compartiment du frigo pour Damien, cela ne les empêche pas de manger très régulièrement ensemble. L'un prépare un petit plat lorsque l'autre a moins de temps ou alors ils échangent leurs astuces devant les casseroles. Ils n'hésitent d'ailleurs jamais à déboucher une bonne bouteille pour parfaire leurs soupers.

Bonne chère, plaisirs bachiques, cinéphilie et philosophie de la vie... Des points communs qui ne tardent pas à rapprocher les deux colocataires et à les emmener dans un rapport d'amitié solide qui ne semble pas prêt de s'essouffler.

Couacs et fous rires

Toutefois, certaines scènes cocasses ont rythmé leur quotidien. Comme cette soirée au début de leur cohabitation: «peu de temps avant mon arrivée, l’appartement avait subi quelques menus travaux. Certaines pièces avaient été repeintes». Après un souper un peu arrosé avec une amie, Marie-Madeleine entreprend de lui montrer ces rénovations. Encore peu habituée à la présence de Damien, elle ouvre sans complexe la porte de sa chambre, pour découvrir le jeune homme tout penaud dans son vieux pyjama en train de lire au lit. Un quiproquo qui fait aujourd'hui beaucoup rire les deux amis. «Gloups! Oui, c'était au début qu'il était là, se souvient Marie-Madeleine. Ça ne s'est jamais reproduit, non?» «Heu si, une fois dans la salle de bain. Mais heureusement je porte toujours une serviette!» Et les fous rires repartent de plus belle.

Pour Marie-Madeleine, les décennies qui les séparent n'ont jamais posé problème «Je vis avec de grands ados et travaille avec de jeunes adultes». Les deux se taquinent même à propos de leur différence d'âge: «Nous ne sommes pas d’accord  pour dire si c'est Damien qui est vieux ou Marie-Madeleine qui est jeune», clament-ils en cœur.

Une belle amitié

Après deux ans de vie commune et l'obtention de son master en architecture, le jeune homme décide de repartir à Genève, sa ville d'origine, pour y travailler. Là encore, les deux compères discutent beaucoup de l'avenir. L'avis et les conseils de Marie-Madeleine sont importants pour le diplômé. Mais, au final, pour lui, «c'est quand même plus pratique de travailler et d'habiter au même endroit».

Malgré son déménagement, ils se revoient régulièrement pour échanger les derniers potins et philosopher un peu autour... d'un petit plat accompagné d'un bon vin rouge, bien sûr!

Et si c'était à refaire, Marie-Madeleine a peu de doutes : elle recommencerait. «Et moi, je serais jaloux!», ironise Damien.


Allô... La ligne intergénérationnelle coupée!

Selon une étude du Centre de compétences suisse en sciences sociales, les générations s'entendent plutôt bien en Suisse mais ne cohabitent pas vraiment. Si les liens entre jeunes et aînés sont forts au sein de la famille, ces contacts restent très rares en dehors du cadre familial.

L'étude montre que «plus de 80% des 15-44 ans ne travaillent jamais avec des personnes de plus de 70 ans, ni dans la vie professionnelle, ni au travers d’activités bénévoles. Et quasiment 60% des jeunes adultes n'ont pas d'amis ou de connaissances parmi les seniors de plus de 70 ans».

Cela pourrait constituer un facteur explicatif des peurs exprimées par les aînés face à la jeunesse, par méconnaissance: «45% des personnes âgées suisses craignent que les jeunes mettent en péril l'ordre public du pays».

La colocation intergénérationnelle peut dès lors constituer un pont entre jeunes et aînés, orienté vers la découverte de l'autre, une meilleure compréhension et un enrichissement mutuel.